Le sourire de Robert Walker. Ce sourire c'est le fil directeur du film. Puisque, lors de cette scène d'introduction de toute beauté, où le jeu du langage corporel est au moins aussi important que les paroles prononcées, c'est ce sourire qui change tout. Son sourire est si complice, innocent et frivole qu'on ne peut rien prendre au sérieux, et, comme Mister Guy Haines, on rigole et on se dit que ce type est un brave bonhomme avec qui un trajet en train peut passer en un rien de temps.
Mais, quand ce sourire se transforme en grimace, quand ce sourire devient un sourire malveillant, un sourire de fou, tout bascule, dans un renversement à 180° digne de la rotation d'une balle de tennis (I know it's lame...). Guy Haines est donc malgré lui embarqué dans une aventure étouffante, où il doit agir comme un coupable, où il doit mentir comme un assassin, où il doit dissimuler une fausse-vérité.
Guy Haines et Bruno Anthony se tiennent tête comme deux joueurs de tennis, chacun d'un côté du filet, frappant les coups avec toujours plus d'intensité. Il a Guy, le joueur calme et posé, qui réfléchit au moindre coup et adopte une stratégie de défense, incapable de mener l'attaque de peur d'envoyer la balle en faute. Et il y a Bruno, un joueur beaucoup plus vif, passe-partout, qui glisse sur le court avec habileté, envoyé toujours des balles piquantes destinées à contrarier Guy.
Le film, le combat, le duel, c'est un match de tennis, tout n'est qu'une immense métaphore. Et l'enjeu – le briquet –, c'est la balle. De quel côté va-t-il tomber ? Du bon ou du mauvais ? En dirigeant l'une des scènes phares du film sous forme de montage alterné, avec d'un côté la balle et de l'autre le briquet, Hitchcock insiste clairement sur cette assimilation à faire ; celle du jeu.
Pour Bruno tout n'est qu'un jeu, c'est ce que son sourire signifie ; pour Haines, de jeu il n'y a pas, et il aimerait mieux arrêter le match et s'enfuir avec sa bien aimée, mais il est obligé de rester sur le court, sinon quoi il déclarerait forfait et serait condamner à perdre le match.
Les coups s'enchaînent donc avec toujours plus de fougue, entrecoupés de passages furtifs d'une Ruth Roman en état de grâce, qui partage la sueur de son doux et tendre comme si elle devenait sa propre serviette, celle qui l'aide à garder ses forces ; et à y puiser dedans, aussi.
Nous autres spectateurs nous sommes comme le public, tournant la tête de droite à gauche, avide de connaître le dénouement de ce match tendu, où la moindre erreur est fatale. Dans cet ensemble de scénettes à la fois drôles et sombres, le maître derrière la caméra, sorte d'arbitre du match, nous offre des plans d'une beauté inoubliable ; comme la vue à travers une paire de lunettes, ou bien un intrus dans un public de tennis, gardant la tête bien droite.
Le match de tennis est beau, haletant et plaisant, mais, à l'instar des joueurs, il s'essouffle un peu, et il n'y a pas le dénouement épique que l'on attendait. Pas de tie-break de-la-mort-qui-tue, non, juste un 6-2 dans le dernier set peu enthousiasmant. Ça traîne un peu en longueur (cette séquence du manège avec le cadavre qui rampe sous les chevaux, come on...) et ça trouve quand même le moyen de bâcler les derniers instants. Bon, on est quand même comblé parce que la dernière scène est jouissive, sorte de boucle bouclée, et parce qu'on a eu droit à des moments épiques qui font oublier cette fin en dents de scie. Mais tout de même, compte tenu du caractère chef-d'œuvresque de la première partie du film (ah la la, cette séquence à la foire) une légère forme de déception pointe le bout de son nez...
Ça reste quand même du très bon Hitchcock, et Mister Farley Granger n'est jamais aussi bon que lorsqu'il joue un personnage torturé et malmené.
(La métaphore de Woody Allen tient toujours, c'est presque un hommage en fait quand on y regarde de plus près...)