Enfin j'ai pu voir Jeanne et je n'ai pas été déçu. Cette fois, après Jeannette, Dumont adapte la fin de Jeanne d'Arc de Péguy. Je ne sais pas s'il a coupé par rapport au texte originel, mais tout ce dont je me souviens de la pièce est dans le film... (le film m'a donné envie de le relire, je pourrai donc peut-être comparer en en ayant un souvenir plus frais)
Reste que si Jeannette était un objet singulier, là avec Jeanne, Dumont va encore plus loin dans la singularité, tout en changeant pas mal de choses. On change le compositeur, finie la musique un peu metal, les headbangs sur la côte d'opale, place à Christophe, que je découvre pour l'occasion. Les musiques sont moins présentes mais toujours aussi belles, elles ont une puissance rare. Le film se retrouve comme habité d'un souffle nouveau dès qu'il y a de la musique. C'est fou que Dumont, cinéaste qui n'en utilise d'habitude pas ou très peu se retrouve à savoir aussi bien l'utiliser.
Au tout début du film on a une chanson en entier, assez longue, avec une succession de plans sur Jeanne, c'est réellement beau. Elle a beau être jeune, la petite Lise Leplat Prudhomme a une force immense et c'est toute la beauté du film de Dumont, c'est d'avoir réussi à capter toute la magnificence qui se dégage de la gamine. Faire durer les plans, zoomer lentement sur son visage lui confère une dignité et une puissance.
Forcément la foi du personnage rappelle celle d'Hadewijch, elle est là, inébranlable, il faut bouter les anglais hors de toute France, Dieu le lui a ordonné. Mais ce qui est intéressant outre le talent de l'actrice, c'est qu'en prenant une Jeanne aussi jeune, Dumont démultiplie tous les tourments qu'elle devra subir. C'est-à-dire qu'elle beau rester digne, fière, on voit sa fragilité, on voit aussi comment les hommes ne la prennent pas au sérieux. Le mieux étant la courte scène avec Luchini en roi de France qui se penche pour lui parler, elle infantilisée... et de même, lors du procès, la voir batailler avec plein de vieux mecs renforce son courage, mais montre également à quel point elle a pu être accablée.
J'ai donc beau aimer Jeanne Voisin, l'actrice qui jouait Jeannette grande dans le film précédent, Dumont n'aurait pas eu le même effet, cette gamine pure et innocente face au monde des adultes.
Pour le reste, c'est du Dumont, c'est-à-dire que comme dans tous ses films depuis P'tit Quinquin, il s'amuse des décalages qu'il crée et le film est franchement drôle par moment, sans jamais pour autant perdre sa puissance. Et c'est d'autant plus vrai lors du procès où la plupart de ses juges sont ridicules, ce qui tranche avec leur discours qui se prend au sérieux et la solennité de la cathédrale d'Amiens dans laquelle sont tournées ces scènes.
Je crois que j'aurais adoré voir la réaction des gens en salle pensant voir une simple nouvelle itération de l'histoire de Jeanne d'Arc et qui se retrouvent avec un film minimaliste, les batailles sont représentées par une magnifique chorégraphie à cheval, mais qui ne ressemble absolument pas à une bataille, le château, les prisons ne sont que des blockhaus éparpillés... Dumont s'exporte peu. Il reste dans son petit coin... quoique là il a dû aller jusqu'à Amiens... mais ce qui est formidable avec ça, c'est qu'il les aime ses décors, ses paysages et donc il va les filmer, il va les sublimer... il va oser montrer ce qu'il aime. Chaque film de Dumont, en plus de ce qu'il dit, de ce qu'il provoque comme émotion, c'est un film qui montre la France (en général le Nord) et à quel point elle est belle.
En tous cas je très content qu'il ait tourné la suite de Jeannette, proposant ainsi une adaptation complète de Jeanne d'Arc de Péguy, un diptyque aussi inattendu, surprenant que profondément beau et puissant. Je regrette sincèrement que les bandes originales ne soient pas disponibles, je me serais fait un plaisir de réécouter les chansons... C'est dire si j'ai apprécié, moi qui ne suit pas mélomane.
Je dirais, pour conclure, que le film est peut-être un poil meilleur que Jeannette car plus riche je dirais dans ce qu'il dit et pour sa puissance dans l'émotion, dans les intenses regards caméras de Jeanne qui m'ont fait frissonner comme m'avaient fait frisonner (euphémisme) les plans fixes frontaux dans l’Évangile selon saint Matthieu. Et donc si le film en décontenancera beaucoup, il fait clairement partie de ces perles rares qui viennent hanter le spectateur.