Il y a des films qu'on ne voit pas venir, en tout cas en ce qui me concerne. "Les traducteurs" fait partie de ceux-là. Si je l'ai découvert, c'est grâce à une fenêtre inattendue de temps libre, me poussant à jeter un œil sur le site du cinéma en question, préalablement attiré par "La voie du silence". N'étant pas proposé, c'est donc par défaut que j'ai jeté mon dévolu sur le dernier film du réalisateur de "Populaire", motivé par les notations des internautes. Je dois admettre que la surprise fut bonne. Mieux, il confirme le retour du cinéma français sur le devant de la scène en matière de films de genre. Cette fois, c'est Régis Roinsard qui s'est collé à cet exercice périlleux, huit ans après la comédie frétillante bien nommée "Populaire". Ici, nous sommes loin, très loin de son précédent long métrage, mais il prouve tout son talent et confirme tout le bien qu'on pouvait penser de lui. Je considère même qu'il va falloir compter avec lui, et tant pis s'il faut attendre huit ans de plus pour voir son prochain long métrage. Après tout, tant qu'il nous livre des œuvres de qualité, ça vaut la peine d'attendre, vous ne croyez pas ? C'est donc sans rien savoir du film que je suis parti à la découverte de ce film. Ni bande-annonce, ni synopsis. Le flou total. J'avoue avoir été un peu décontenancé au début. La multiplication des personnages dans un premier puis des différents espace-temps dans un second temps ont eu tendance à me perdre un peu. Mais ce qui m'a frappé avant, c'est le casting. Plus précisément, voir le nom d'Olga Kurylenko dans un film battant pavillon français est en soi une première surprise car on a l'habitude de voir l'ukrainienne plutôt dans des productions américaines. Mais si on se penche davantage sur la distribution des rôles, sa présence n'est plus vraiment une surprise, puisqu'elle incarne une traductrice russe. Riccardo Scamarcio est italien et joue un interprète italien. Conformément à sa nationalité, Sidse Babett Knudsen représente une traductrice danoise. Il en va de même pour Eduardo Noriega, espagnol. Idem pour Alex Lawther, britannique. Pareil pour Anna Maria Sturm, allemande. Manolis Mavromatakis, grec de son état, ne déroge pas à la règle. La portugaise Maria Leite complète le tableau de la même façon. Seul Frédéric Chau dénote, mais son faciès trahissant des origines asiatiques lui permettent de jouer un traducteur chinois. Un casting décidément cosmopolite pour représenter neuf traducteurs. Des traducteurs réunis dans le plus grand secret autour d'un éditeur (Lambert Wilson) qui a la chance d'avoir mis la main sur une trilogie de renom pour traduire un troisième volet très attendu afin de pouvoir procéder à une sortie mondiale en simultané. Nous sommes donc là à la veille d'un événement exceptionnel, lequel suscite bien des convoitises. Vient alors le premier coup de théâtre, révélé par le synopsis. Dès lors, ce qui ressemble à un huis clos prend des airs de polar à la Agatha Christie. Car effectivement, alors que tout ce joli petit monde se voit enfermé dans un bunker
au sein d'une immense propriété appartenant à un richissime russe
et sans (cela va de soi) aucune possibilité de contact avec l'extérieur, la fuite ne peut évidemment venir que de l'intérieur. Impossible pour moi à ce moment-là de ne pas avoir une petite pensée vers "Dix petits nègres" de l'auteure anglo-saxonne. Dès lors le but est de démasquer qui est le pirate. L'ingéniosité de Régis Roinsard, à la fois co-scénariste et réalisateur, est d'avoir su faire évoluer son intrigue pour l'orienter vers le film d'arnaque qui fait monter en puissance ce thriller énigmatique. Ce n'est pas très secret, le synopsis révèle cette tournure. Mais ce n'est rien encore en regard du final totalement inattendu qui fait revêtir à ce film une nouvelle apparence : après une mise en place d'un polar à la Agatha Christie, le développement d'un film d'arnaque, il se conclut finalement sur autre chose (que je tais volontairement) et qui a fini d'emporter mon adhésion déjà acquise devant l'évolution de l'intrigue. Le plus remarquable est que Roinsard a su brouiller les pistes. Indéniablement, il sait manipuler le spectateur, orientant les soupçons de ce dernier tantôt vers l'un puis vers l'autre. Pire, l'évolution de l'intrigue révèlera chez certains personnages une personnalité insoupçonnée ! Seulement au cours de la séance, le spectateur se surprendra à penser qu'il est dommage que l'identité du pirate soit révélée si rapidement
au cours du face à face d'Eric Angstrom avec son interlocuteur, un face à face débuté sur un monologue pas forcément très intéressant au début mais qui prend peu à peu un intérêt toujours plus grand. C'est d'ailleurs ce face à face qui va amener le spectateur au final pour le marquer durablement
. Les acteurs ont tous un jeu très convaincant. Même Sara Giraudeau qu'on voit finalement assez peu à l'écran, mais dont la dernière réplique est absolument jouissive. Lambert Wilson est impressionnant par l'autorité glaçante qu'il a mise dans son personnage, Olga Kurylenko est superbe de mystères
, tandis qu'Alex Lawther montre une maîtrise remarquable dans la croissance de l'intensité chez son personnage
. Cependant le rôle le plus attachant selon moi est à mettre dans l'escarcelle de Patrick Bauchau : quel charisme pour incarner ce vieux sage profondément amoureux des œuvres littéraires et des hommes ! Vous l'avez compris, après un début un peu difficile au cours duquel j'ai envisagé de sortir, j'ai aimé ce film. Et en plus il est français. Pour une fois, je vais faire preuve de chauvinisme ! Mais pourquoi est-ce que je n'accorde qu'un 8/10 ? Eh bien parce que je pense qu'on aurait pu avoir plus de tension encore dans le récit, plus de puissance encore dans le final. Ce qui me fait dire ça ? La connaissance d'autres œuvres, celle que j'ai en tête étant "Old boy", version sud-coréenne bien sûr.
Et puis parce que je suis étonné de voir que Lambert Wilson puisse recevoir des messages dans un lieu tel que ledit bunker.
Reconnaissons tout de même à Régis Roinsard de mettre en lumière les traducteurs, ces travailleurs de l'ombre qui rendent toute œuvre littéraire accessible à tout le monde quelle que soit leur langue, et de pointer du doigt les dérives de l'édition lorsqu'un bouquin devient un commerce juteux avant sa raison d'être.