Agrégé d'économie, Mohamed Hamidi a eu l'idée du film en 2008, lorsqu'il est allé rendre visite à l'un de ses amis travaillant en zone franche à Bondy. Sur place, le metteur en scène avait remarqué dans le hall de l’immeuble une bonne dizaine de boîtes aux lettres d’entreprises dont seules deux d’entre elles étaient vraiment installées dans le bâtiment. Il se rappelle :
"Les autres avaient fictivement pris cette adresse pour percevoir des aides promises par l’État, à savoir l’abattement sur les charges sociales ou, encore, l’exonération d’impôts sur le chiffre d’affaires pendant les premières années d’exploitation. À cette époque, avec les zones franches, on était dans une sorte de paradis fiscal. Pour répondre à votre question, effectivement la zone franche est un sujet qui m’interpelle sur le plan économique. Ce qui est paradoxal, voire comique, c’est le décalage entre l’intention de ces mesures qui tentent de redynamiser les quartiers et leur application qui renforce les inégalités qu’elles essaient de combattre. Je me suis toujours méfié du côté théorique et bien pensant de la discrimination positive : certes, c’est une mesure de rattrapage mais elle ne fait que traiter l’inégalité sans réellement s’attaquer à ses causes. Ces sujets sont sérieux et complexes mais dans le film je les évoque en mode comédie, c’est toujours plus efficace et moins moralisateur."
En 2016, Mohamed Hamidi avait rencontré le succès avec son second long métrage La Vache (1.3 million d’entrées), dans lequel Malik Bentalha jouait déjà. Ce dernier a connu une année 2018 chargée puisqu’il a été révélé au grand public via son rôle d’Eddy Maklouf dans Taxi 5 et a enchaîné avec Le Doudou, aux côtés de Kad Merad. Il joue, dans Jusqu’ici tout va bien, Samy, un jeune des quartiers drôle et sympathique. Un personnage qui lui permet, là encore, de faire montre de ses talents comiques.
Après avoir réalisé une comédie dramatique avec Né quelque part et une comédie sociale avec La Vache, Mohamed Hamidi voulait, avec Jusqu'ici tout va bien, faire une "pure comédie". "Cette fois-ci, je désirais une comédie qui ressemble davantage à ce que je fais depuis des années avec Jamel Debbouze ou Malik Bentalha sur scène : vannes, punchline, rapidité et situation immédiate. Ma priorité était que ce soit drôle. Ensuite, je voulais que l’histoire s’ancre dans une réalité. Ce qui m’intéresse c’est d’être toujours au bord du réel", confie-t-il.
Mohamed Hamidi a posé ses caméras à la Courneuve car il cherchait un endroit proche de Paris dans le réel comme dans le film. Pour la partie zone franche, le cinéaste et son équipe étaient à Aubervilliers et, pour la partie cité, à la Cité des 4000. "La plupart des figurants ou des petits rôles viennent d’ailleurs de ces trois endroits. Dernièrement, on a organisé une projection test du film avec deux cent personnes dont une grande partie venait de banlieue et l’autre de Paris intramuros. Ce qui m’a fait plaisir c’est que toute la salle riait ensemble des mêmes vannes et des mêmes situations", se souvient Hamidi.
La chanteuse Camille Lou, révélée par la comédie musicale "1789, les Amants de la Bastille", trouve ici son premier rôle important au cinéma : elle était apparue furtivement dans Epouse-moi mon pote mais est plus active à la télévision via ses rôles dans les séries Les Bracelets rouges et Maman a tort.
Côté références cinématographiques, Mohamed Hamidi avait en tête plusieurs classiques dramatiques sur la banlieue comme La Haine, Divines, Chouf, Raï ou encore Ma 6-T va crack-er. Le metteur en scène explique : "J’ai l’impression qu’il y a deux façons de filmer la banlieue. Soit on montre des histoires réalistes avec des dealers, des flics, des mecs qui sortent de prison, de la violence… bref, la banlieue dure. Soit c’est la banlieue clownesque, abstraite ou très caricaturale. J’avais envie d’être ni dans l’une, ni dans l’autre. Même si je voulais clairement être du côté de la comédie, tous les personnages et toutes les situations sont réalistes."
Dans Jusqu'ici tout va bien, Gilles Lellouche incarne Fred, un type qui ne cesse de courir après plus de confort, plus d’argent et plus d’amour. Le comédien développe au sujet de son personnage : "Il court après sa femme, après son fils, après ses employés. Son existence est à l’image du marathon contemporain que l’on connaît tous. Dans le film, la vie semble lui dire : « Mon vieux t’as sacrifié pas mal de moments, de plaisirs et de gens au profit de ta petite réussite, maintenant, t’assumes, et tu regardes autour de toi ». Finalement, le choc des deux cultures va lui permettre d’ouvrir enfin les yeux sur une autre réalité. La chanson d’Alain Souchon, Ultra moderne Solitude, représente bien mon personnage : un homme qui s’est enfermé tout seul dans son boulot. Il lui faut un électrochoc pour le réaliser et il va le subir avec le déménagement forcé de sa boîte parisienne en banlieue."
Dans ses films, Mohamed Hamidi aime faire rencontrer deux mondes qui se méfient l’un de l’autre sans se connaître. Dans Né quelque part et La Vache, il s'agissait du bled et la France. Dans Jusqu'ici tout va bien, c’est la banlieue et Paris. Le réalisateur précise : "La banlieue est le monde que je connais le mieux. Pour moi, son exploration est inépuisable. Je suis né à Bondy et c’est le quartier dans lequel j’ai le plus vécu depuis mon enfance, c’est à dire 45 ans ! Ensuite, pendant toute la période du « Bondy blog », en parallèle à ma carrière de prof d’économie à Bobigny, j’ai assisté un nombre de fois incalculable à la confrontation de ces deux univers, aux malentendus culturels qui en résultaient et aux décalages entre la réalité et l’interprétation qu’en faisaient notamment certains journalistes parisiens. Leur démarche était parfois analogue à la séquence dans le film où Samy fait visiter en bus la Courneuve aux salariés d’Happy Few comme s’ils étaient dans le Zoo de Thoiry. Pour être honnête, cette histoire, je l’ai vécue lorsqu’un journaliste m’a demandé avec insistance, et en vain d’ailleurs, de lui servir de guide pour faire le tour du 93 !"