"Les Invisibles" de Louis-Julien Petit est aux SDF et salariés des CHRS, accueil de jour voire de nuit, ce que "visiblement de vous aime" de Jean-Michel Carré est aux lieux de vie, y compris par le mélange acteurs professionnels et personnes issues des structures décrites. Au travers "Discount", on avait pu perçevoir une façon fort intéressante de manier la caméra, de mettre en valeur des personnages victimes de la précarité. Mais cette fois-ci, fini les défauts : on ne pousse plus les personnages vers une impasse qui plus est irréaliste, mais, toujours dans le cadre d'une fiction, on offre une porte de sortie honorable, tout en critiquant l'impasse d'une société prisonnière de sa bureaucratie et de ses idées toutes faites, oh combien d'actualité. Et il y en a pour tout le monde, à tous les niveaux : la galère des SDF confrontés au 115 sautera aux yeux du grand public. Plus subtil, les notions de responsabilité individuelle, de rapport à la mission confiée et à la loi passionnera les professionnels. Bien sûr, on transgresse, ce qui est plutôt rare chez les travailleurs sociaux. Mais contrairement à 'Discount', on ne franchis pas la ligne rouge qui rendra le film hors de propos. Non, là, tout est pesé, étudié, longuement réfléchit et mis en scène. Du travail d'orfèvre. Il n'est qu'à voir la longueur du générique. Egalement fort intéressant la suggestion de rapport entre une directrice de centre et son personnel. Tout au long du film, on joue avec les lois, avec les usages, avec l'adaptation possible ou non aux différentes situations. Très bien vu également, la précarité qui existe aussi chez les éducateurs; et les appuis ou non des entourages "je ne pourrais pas faire ce que tu fais"... Quel éducateur n'a jamais entendu cette phrase ? Et puis, il y a cet humour discret, subtil, tout au long du film, qui rend la chose encore plus humaine. Humour à divers niveau : clins d'oeil pour le grand public (merci à Brigitte Macron et Marie-Josée Nat !!) et clin d'oeil pour les professionnels, à commencer par ceux qui ont appris à travailler avec la participation des personnes, comme ça se pratique dans les GEM : la séance de relaxation permet vraiment de détendre le spectateur... Plus pointu, la description, vers la fin, des idées toutes faites qui peuvent circuler sur les foyers (de jour, de nuit ou des deux) parmi les SDF. Cette 'radio' propres aux réseaux de la rue est aussi adroitement évoquée. La principale critique est celle des financeurs, personnages coincés entre l'état et les acteurs de terrain, uniquement capable de répété un discours tout fait sur le manque de volonté de s'en sortir chez ceux qui n'ont plus rien, ni logement, ni argent, ni santé, etc... On croirait du Macron (Emmanuel, cette fois). Tristes personnages bien formés, bien payés, mais déconnectés des réalités et surtout des subtilités de la vie. Je ne vais pas évoquer tout les sujet très habilement développés, le film évitant absolument le piège des énumérations successives, mais j'ai particulièrement apprécié la manière dont est très finement évoqué le thème de la prison. Une petit bijou. Egalement très discrètement, en arrière plan, le rapport hommes - femmes, avec ses différentes professions et donc ses différents salaires quand il s'agit de salariés. Quand il s'agit des SDF, le rapport au travail, véritable casse-tête tant pour les personnes que pour les éducateurs chargés d''insérer' des personnes totalement hors circuit. Séquence particulièrement réussie et amusante, celle du re-travail des CV, ou comment on fait apparaître une formation réelle dans un centre de formation fictif : un régal, rire garanti dans la salle. Film donc passionnant et tout en finesse de Louis-Julien Petit, avec une formidable Corinne Masiero. Sans compter l'extraordinaire performance des actrices non professionnelles, SDF ou issues du monde de la rue. Courrez vite voir ce film, OVNI de l'actualité cinématographique.