Comment susciter non seulement l’intérêt, mais l’enthousiasme, en filmant l’histoire la plus simple, on pourrait même dire la plus rebattue, du monde ? Cette gageure, Hans Weingartner la relève de la manière la plus belle, la plus convaincante, qui soit. En racontant, sur fond de road-movie, la naissance du sentiment amoureux entre deux jeunes gens, il ne sort certes pas des sentiers battus, et cependant il réussit un film enthousiasmant. C’est la preuve, si besoin est, que, pour faire du bon cinéma, il n’est nullement obligatoire d’imaginer un sujet très original, mais qu’il faut avant tout se fonder sur de bons acteurs et faire des choix judicieux de mise en scène. Et c’est le cas dans ce film : tout y est réuni pour provoquer l’engouement bien mérité du spectateur.
L’histoire d’amour n’est d’ailleurs pas gagnée d’avance et il faut beaucoup de temps pour qu’elle surgisse, grandisse et s’épanouisse. Au début du film, les deux jeunes en question subissent tous deux un échec : elle, prénommée Jule (Mala Emde), parce qu’elle rate un examen de biologie, lui, prénommé Jan (Anton Spieker), parce qu’on lui refuse la bourse sur laquelle il comptait. Tous deux décident, chacun de son côté, d’entreprendre un voyage : elle pour rejoindre son petit ami qui réside momentanément au Portugal, lui pour faire connaissance avec son père biologique qu’il n’a encore jamais vu et qu’il espère retrouver en Espagne. Or comme Jan s’est fait larguer par le conducteur qui devait l’emmener en covoiturage, il décide de faire du stop et, voyant Jule auprès de son camping-car 303, lui demande si elle veut bien le prendre à bord.
Ainsi commence le long périple qui les conduit tous deux d’Allemagne au Portugal en passant par la Belgique, la France et l’Espagne. Un voyage en duo qui semble devoir s’achever dès les premiers kilomètres. Car la première discussion qui s’engage entre les deux jeunes gens tourne au fiasco. Jule s’irrite tellement des propos maladroits que lui tient son compagnon qu’elle décide de l’abandonner aussitôt sur une aire d’autoroute. Or un concours de circonstances fait que non seulement tous deux se retrouvent un peu plus tard mais que Jule accepte de reprendre Jan à son bord.
C’est alors que débute vraiment leur voyage en commun et le lent apprivoisement, la patiente découverte de l’autre. Ponctué de pauses, de baignades, de visites, d’explorations des paysages superbes qui jalonnent leur route, le périple est aussi l’occasion de débats passionnés sur des questions de politique et d’anthropologie mais également et surtout sur la question du sentiment amoureux. C’est ce dernier sujet qui s’impose en effet, dessinant, au fil de discussions enflammées, une véritable carte du Tendre. Jule affirme ses convictions optimistes sur la nature humaine, elle exalte la bonté et l’empathie, tandis que Jan expose son pragmatisme, son scepticisme et son scientisme. Mais si leurs opinions semblent inconciliables, elles n’empêchent pas que s’établisse et que grandisse entre les deux itinérants quelque chose de plus que le simple plaisir d’être ensemble et de débattre de sujets controversés. Avec douceur, avec délicatesse, c’est le sentiment amoureux, non plus seulement théorisé, mais vécu, qui tisse ses liens entre les deux jeunes gens. Cela se fait par le biais des sens, bien entendu, la vue, le toucher, mais aussi l’odorat, et cela se fait sans doute aussi parce que chacun d’eux se heurte à ses propres limites, à ses propres difficultés : Jan par rapport à son père biologique, Jule par rapport au petit ami qu’elle est censée rejoindre au Portugal, mais aussi du fait qu’elle est enceinte. Fragilisés, vacillants, Jule et Jan, après tant de complicité intellectuelle, peuvent tout naturellement orienter leur histoire vers un amour partagé. Un amour que le réalisateur affirme d’ailleurs n’avoir pas imposé à son couple d’acteurs, un amour qu’il a laissé venir, tout naturellement, devant sa caméra, ce qui donne au film encore plus de justesse et de beauté.