"Les films de super-héros cartonnent. Les films d'épouvante cartonnent. Et si on faisait les deux à la fois ?".
Ben oui, il n'est pas bien difficile d'imaginer la genèse d'un projet comme "Brightburn" tant son mélange des genres sent l'opportunisme à des trillions de kilomètres à la ronde et on s'étonne même qu'aucun producteur n'y ait pensé plus tôt ! "New Mutants", le spin-off horrifique de la saga "X-Men" aurait d'ailleurs dû être la première expérimentation de cette nouvelle hybridité cinématographique mais, vu tous les problèmes qui ont accompagné le projet, c'est finalement "Brightburn" qui vient lui voler la vedette. À vrai dire, ce n'est peut-être pas plus mal car quoi de mieux pour un premier test que de s'attaquer à un détournement maléfique de Superman, le plus emblématique des super-héros (au sens le plus naïf du terme) avec l'esprit de sale garnement de la famille Gunn ?
Et si ce bon vieux Kal-El, le plus célèbre des Kryptoniens, avait échoué sur notre planète pour malmener les humains plutôt que de les protéger ? Telle est la grande hypothèse que vont s'efforcer de résoudre James Gunn, producteur, et le duo frère/cousin Brian/Mark Gunn au scénario de ce "Brightburn". Dans un sens, la donne n'est pas nouvelle : les comics se sont déjà chargés d'établir des variations sombres sur les origines de Superman, on pense évidemment au "Red Son" de Mark Millar (le Kryptonien est élevé sous la coupe du régime soviétique) ou, plus simplement, à son rôle de conquérant prévu originellement par son père, Jor-El, que l'amour inconditionnel de ses parents humains et l'influence terrienne ont su faire disparaître.
C'est probablement sur ce dernier point qu'une telle relecture a toutes les chances de prouver sa pertinence. En effet, qu'adviendrait-il si celui destiné à devenir le plus parfait symbole d'assimililation américain en termes d'immigration se retournait contre les valeurs de cette Amérique conservatrice pour causer sa destruction ? Si, malgré tous ses efforts pour le faire devenir l'un des leurs en changeant sa nature, celle-ci échouait et le transformait en élément pouvant causer sa propre perte ? En prenant à revers le message métaphorique portée par la figure de Superman, "Brightburn" ouvre la voie à une possibilité de revisiter de mythe avec une noirceur inédite sur le fond. Et si, bien entendu, le jeune alien peut méchamment péter un câble en devenant une sorte de super-vilain/petit Damien de "La Malédiction" en guise de menace meurtrière, autant dire qu'on est largement preneur !
Ici, Clark s'appelle Brandon, les Kent sont les Breyer et Smallville est devenu Brightburn (toujours dans le Kansas) mais rien ne change fondamentalement dans les prémices d'une des plus célèbres origin stories super-héroïques tel qu'on la connaît, tout est même bel et bien là, construit à l'identique : le décor d'une ferme, l'infertilité désespérée d'un couple, le bébé-miracle venu du ciel... Mais lorsque l'histoire reprend dix ans plus tard, quelque chose ronge déjà ce cadre d'Amérique parfaite. La ferme des Breyer est presque en ruines, la banalité de l'omniprésence des armes se fait sentir, le système scolaire paraît en décalage avec l'évolution de la personnalité des élèves... Bref, quelque chose ne tourne plus rond dans ce monde dit idyllique censé façonner la bonté du petit extraterrestre et son rôle déterminant pour l'avenir. Bien sûr, le basculement de sa nature vers les ténèbres va être accéléré par un élément de ses origines mais là où Clark Kent avait pu le surmonter avec des facteurs humains, tous ceux qui entourent le petit Brandon Breyer le condamnent, lui, à le précipiter du côté obscur. Même l'amour indéfectible de ses parents d'adoption ne sera jamais assez fort pour lui apporter la lumière tant ces derniers ont parfois du mal à communiquer ensemble (notamment sur les premiers signes maléfiques de Brandon) ou même avec leurs fils à cause de vraies maladresses d'éducation (la conversation père-fils sur la puberté en sera le meilleur exemple). Tout concourt donc à la perte de repères de l'enfant et "Brightburn" surprend de la meilleure manière en ce sens en construisant toujours de manière sous-jacente ce discours, sans insister, afin de laisser le soin au spectateur de juger des influences d'une décadence sociétale plus ou moins implicites sur un Brandon embrassant de plus en plus sa terrible destinée...
Hélas, à force de maintenir ce propos passionnant dans l'ombre, "Brightburn" va peu à peu l'oublier en cours de route. Au fur et à mesure que le danger représenté par Brandon va grandir, de nouvelles erreurs et trahisons humaines vont bien entendu encore un peu plus renforcer ses choix maléfiques mais le film va désormais surtout se concentrer sur ses agissements. À partir de là, "Brightburn" devient un film d'enfant possédé assez classique où seuls les super-pouvoirs de Brandon et son statut d'alien dévoré par ses ambitions destructrices changent un peu la donne. Attention, même s'il n'invente plus grand chose, le long-métrage de David Yarovesky va tout de même rester un divertissement très efficace avec des phases de meurtres étonnamment sanglantes et attisant toujours la curiosité grâce à la nature de Brandon mais, en perdant tout ce qui faisait le sel de sa relecture en mode super-vilain, "Brightburn" en devient presque instantanément plus oubliable. Le dernier acte sera à cet image, très attendu dans son déroulement (la conclusion a toutefois le bon goût d'éviter une trop grande facilité) mais toujours capable de se montrer impressionnant dans ses affrontements, et l'épilogue aussi amusante soit-elle par ses clins d'oeil n'apportera pas grand chose à l'édifice si ce n'est un teasing déjà rendu obsolète par le très relatif succès du film au box-office US...
Le mélange des genres était donc prometteur et "Brightburn" a su nous en convaincre dans son excellente première partie bien plus subtile qu'il n'y paraît avant de finalement le réduire à sa plus simple expression. Pour autant, le film peut se targuer d'une réelle efficacité et d'un mauvais esprit digne du nom Gunn inscrit un peu partout au générique. Ce n'est pas si mal en soi mais "Brightburn" avait ouvert les vannes pour quelque chose de bien plus consistant que l'on n'aura eu que partiellement à l'arrivée...