Les noms prestigieux (hier Ridley Scott, aujourd’hui Guillermo del Toro) ne protègent décidément plus de la déculottée au box-office, les récents films incriminés ayant pour point commun d’être nettement supérieurs à la moyenne et non liés à une franchise ou un univers existant. ‘Nightmare alley’, basé sur ‘Le charlatan’ de William Lindsay Gresham, a certes déjà été adapté au cinéma mais c’était en 1947, il y a évidemment prescription. Il témoigne aussi d’une volonté toujours plus claire de Del Toro de s’éloigner encore un peu plus des univers fantastiques et imaginaires auxquels on l'associe volontiers. Comme sa source d’inspiration a été écrite en 1946, ‘Nightmare alley’ ne cherche pas à moderniser le contexte et situe l’action dans l’Amérique du début des années 40, ce qui permet à Del Toro de lâcher la bride à un goût du décorum qu’on imaginait de toute façon peu adaptée à la modernité. Servi par un casting remarquable, des rôles principaux (Bradley Cooper et Rooney Mara étincellent. Cate blanchett, n’en parlons même pas) aux secondaires (même dans des petits rôles, on adore voir Willem Dafoe, Ron Perlman ou TIm Blake Nelson à l’écran), ‘Nightmare alley’ parvient à absorber et inclure suffisamment de tendances et de genres pour développer son propre univers, sa propre sensibilité, ce qui est toujours la marque des grands films : c’est une oeuvre dramatique mais pas seulement. C’est un Thriller mais pas tout à fait. C’est un Film Noir mais aussi beaucoup d’autres choses. C’est surtout un film qui, aussi intéressant et passionnant qu’il soit, n’en reste pas moins hors-sol, qui n’a pas vraiment sa place dans les années 2020, malheureusement pour lui et tant mieux pour le spectateur : ce récit moral sur l’ascension et la chute d’un escroc, qui séduit mais n’inspire confiance et compassion à aucun endroit du film, ressemble davantage au cinéma des années 50, 60 et 80, ce qui fait clairement de ‘Nightmare alley’, un film d’un autre temps, “classique” dans son esprit à défaut de l’être dans la forme : si c’est surtout la première partie du film, avant que Stanton Carlisle ne devienne un mentaliste à succès, qui séduit, on ne le doit pas à un scénario qui se serait épuisé dans la dernière ligne droite mais au fait qu’elle se déroule dans le milieu de ces foires itinérantes d’autrefois, entre fête foraine et freak-show, qui permet à Del Toro de donner libre à cours à son amour pour les bizarreries et les réprouvés, sans qu’on cesse jamais de rester dans le réel mais avec suffisamment de savoir-faire visuel pour que le résultat fasse ressortir le surnaturel et l’inexplicable que les visiteurs venaient chercher dans ce genre d’endroit.