Après le succès critique et public de « La Forme de l’eau » et sa ribambelle d’Oscars (un bon et beau film mais qui n’en méritait peut-être pas tant), le grand Guillermo del Toro s’octroie un petit plaisir personnel avec « Nightmare Alley ». Pas vraiment un film d’auteur pointu comme à ses débuts, ni un film poétique à récompenses et encore moins un blockbuster coûteux, son nouvel opus est un peu à part dans sa filmographie. On est plutôt dans un film noir à l’ancienne avec un casting de luxe venu s’encanailler avec un réalisateur de plus en plus prestigieux et reconnu. Mais les obsessions du cinéaste sont toujours présentes tout comme sa fascination pour les personnages en marge, les monstres ou les créatures. Des personnages ou entités inscrites dans le fantastique le plus souvent (« Le labyrinthe de Pan »), la science-fiction parfois (« Pacific Rim ») mais, pour la première fois, dans le réel ici. Ce sont des hommes, ni plus, ni moins, en marge et qui se servent des crédules pour faire croire à l’incroyable dans ces années 40 où la science n’expliquait pas encore tout.
Chaque acteur de son prestigieux casting est à sa place et fait ce qu’on lui demande sans véritablement surprendre mais avec application. Bradley Cooper porte le film de manière plutôt admirable sur ses épaules tandis que ses partenaires font ce qu’on attend d’eux. On sent que le cinéaste a voulu se faire plaisir et faire plaisir et cela tout en ne décevant personne dans sa distribution, le plus petit des seconds rôles étant joué par une tête connue des cinéphiles. Le trio de femmes fatales aux côtés de Cooper n’en fait pas trop et on ne peut ressortir une prestation plutôt qu’une autre. C’est un film d’acteurs certes mais aussi et avant tout un suspense sur les faux-semblants, la manipulation et le besoin de croire. Sans conteste, c’est sur la facture visuelle que Del Toro nous régale avec ce film est divisé en deux parties distinctes. La première, au sein de la fête foraine et où le décorum mis en place pourrait confiner à une vision de musée, est stupéfiante pour nos yeux émerveillés par une magie désuète. La seconde, dans une grande ville, développe des images tout aussi belles et soignées. A tel point qu’elle convoque de vieux souvenirs des plus grands films noirs de l’époque, sauf que le couleur remplace le noir et blanc ici. Visuellement c’est un donc un sans-faute sublime et raffiné.
Il n’empêche, même si l’on ne s’ennuie jamais vraiment, il faut avouer que deux heures et trente minutes pour une telle intrigue est peut-être un tantinet trop long et surtout inutile. On s’en contentera, comprenant le plaisir que le cinéaste prend à nous dérouler son somptueux livre d’images. Et heureusement la seconde partie est celle du suspense et de l’entrée en scène de Cate Blanchett, ce qui permet de relancer le film. La résolution de l’intrigue est le point le plus décevant, car à la fois prévisible et trop sibylline quant aux motivations d’un des personnages. Mais pour le reste, c’est plaisant, rare et surtout généreux. Encore une fois. Le regard porté par le cinéaste sur ses personnages (ces parias et leurs petites combines enrichissant l’imaginaire des plus crédules) est pur et toujours aussi bienvenu. « Nightmare Alley » n’est pas le meilleur film de son auteur (le méconnu « L’Échine du Diable » reste en tête) mais c’est un beau film noir dans un écrin en or massif, confirmant le savoir-faire technique et formel d’un auteur passionnant et décidément à part.
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