Guillermo Del Toro a beaucoup regardé les films de Tim Burton et de Jean-Pierre Jeunet, on sent bien les inspirations : la photographie légèrement passée, les acteurs qui surjoue juste un tout petit peu, les décors toujours un peu too much. Ce qui ne fonctionnait pas dans son précédent film rend beaucoup mieux dans celui-ci, c’est indéniable. Je suis intriguée par l’omniprésence du feu dans quasiment chaque scène : une allumette qu’on craque, le bout incandescent d’une cigarette, la flamme d’une bougie, d’un brasero, d’un incendie, cela donne au film une atmosphère de chaleur mais aussi de danger permanent. Même si on ne peut pas dire qu’il y a des scènes superflues ou trop longues, cela n’empêche que son long-métrage dure 2h30 et c’est bien long. C’est trop long, je sais bien que c’est la mode depuis quelques mois, les films à rallonge, mais franchement, il aurait pu enlever 15 minutes à celui-ci sans que cela ne le dénature en aucune façon. J’aime bien l’habillage musical, entre musique de foire ou rengaines des années 40. Le film se déroule entre 1939 et 1941, dans une Amérique quasiment en Guerre. Cela n’a pas l’air d’affecter beaucoup les personnages d’ailleurs, la Guerre se s’étalant que sur les manchettes des journaux qui trainent ça et là. C’est curieux, et c’est un peu dommage, de camper son intrigue pendant ces années là sans utiliser davantage le contexte. Bradley Cooper incarne un Stan Carlisle
de plus en plus détestable au fil des scènes qui s’enchainent.
Dans la première partie du film, il est un personnage sympathique, poli, travailleurs et vis-à-vis des types qui l’entourent, semble avoir encore quelques bribes de scrupules. Mais plus on avance plus l’argent le rends imprudent, cynique, et violent. Encore qu’au vu de la scène d’ouverture, un peu mystérieuse, on aurait du se méfier davantage de ce personnage insaisissable.
Bradley Cooper est très bien et il est très bien accompagné par une multitude de seconds rôles pour une fois très bien écrits : Toni Colette, Willem Dafoe, David Strathairm et Rooney Mara (un peu en dessous, son personnage est un peu trop lisse pour ce monde là) dans la première partie, Cate Blanchett ou Richard Jenkins dans la seconde partie, tous excellents. C’est une particularité du scénario de « Nithmare Alley », il y a deux parties distinctes qui seraient presque comme deux films distincts. La première partie dans la foire est peut-être celle que j’ai préférée. Nous sommes dans une foire des années 40, avec ce que cela implique d’attractions improbables, et notamment un côté « Freaks » (homme animal, fœtus mal formés dans des bocaux, fée électricité,…). Filmer ce genre de choses sans flatter le côté vaguement voyeuriste du spectateur n’est pas évident. Mais Guillermo Del Toro sait doser ses effets et on est finalement assez peu mal à l’aise devant cet étrange spectacle malsain. La seconde partie du film, dans le monde feutré des notables, regarde davantage vers le thriller. Paradoxalement, c’est dans cette seconde partie, dans cet univers plus feutré, qu’on trouve les véritables monstres. Dans ce monde là, tout est plus cynique, plus violent, plus détestable que dans le monde des forains. Chez les nantis, on est aussi ignobles et sans scrupules, mais c’est dissimulé par une épaisse couche de bonnes manière et d’argent. C’est sans doute là le message du film : que ce soit en haut de la société ou bien tout en bas, les mauvais instincts et les pulsions de morts sont les mêmes. La fin, on la devine à partie du moment où
Stan accepte d’aller de plus en plus loin dans l’escroquerie, où il tente de leurrer (grossièrement) des gens de plus en plus dangereux, cela ne peut pas bien finir pour lui. Quelque part, il n’y a rien de plus normal et la dernière réplique ne fait qu’enfoncer le clou. L’ironie très cruelle de la fin ne nous laisse pas une once de pitié pour lui :
tout au long des 2 h30, on aura appris à mépriser ce type, beau gosse et malin qui gâche méthodiquement sa vie et surtout son intelligence.
Si l’on excepte sa durée, et le personnage un peu atone de Molly, « Nigthmare Alley » tient très bien la route. Je ne sais pas si je suis réconciliée avec Guillermo Del Toro mais je n’ai pas l’impression cette fois-ci d’avoir perdu mon temps, c’est déjà ça !