Bradley Cooper (Stan Carlisle) quitte une maison à laquelle il vient de mettre le feu, après y avoir abandonné un corps. Cette scène le hante durant tout le film, à coup de flashs et de mauvais rêves. Autant dire que du coup, on se pose beaucoup de questions à son sujet. Qui est Stan, qui est le cadavre, quel terrible vérité nous sera révélée avant la fin du film…?
Suite à cette scène d’intro, le film va s’articuler en 2 parties bien distinctes:
- La première, Stan intègre une foire itinérante, où pendant une heure, on le voit se familiariser peu à peu avec ce monde de forains, et son festival d’animations à la limite de l’illégalité et de la supercherie.
Rooney Mara gère un petit numéro assez spectaculaire autour de l’électricité (sans doute pertinent au début du XXème, mais en 1940, je doute que cela soit très original), Ron Perlman est l’homme le plus fort du monde, et Willem Dafoe exhibe un homme sauvage, un «crétin» dans le langage forain, qui dévore des poulets vivants direct avec les dents, et qu’il maintient en esclavage à coup d’addiction.. Bref, un petit monde bien huilé se jouant de la naïveté et de la cruauté des badauds. (Et pour nous spectateurs, des acteurs qu'on a grand plaisir à retrouver ici.)
Profitant de l’occasion, Stan se forme au métier de mentaliste auprès du couple Toni Collette et David Strathairn, en apprenant les trucs qui permettent de filouter des spectateurs crédules, heureux de communiquer avec des défunts chers à leur coeur. (Toni Collette et David Strathairn qui vivent d'ailleurs dans une maison en dure, alors que la foire se balade dans le pays, c'est dommage, est-ce une incohérence, ou ai-je loupé un épisode?...)
- Dans la seconde partie, Stan prend son envol en embarquant Rooney Mara (la fée électricité), dont il est tombé amoureux, avec l’idée d’aller arnaquer de riches notables grâce à son nouveau savoir-faire…
Au passage, il quitte la foire après avoir «tué» son mentor en lui refilant une bouteille (l'alcoolisme a son importance dans le film), sans que personne ne le soupçonne. On sait, nous spectateurs, qu’il en est sans doute au moins à 2 morts sur la conscience, avec le brûlé du début.
Devenu un mentaliste à succès, il rencontre Cate Blanchett, psychologue réputée, et à la clientèle prestigieuse, qu’il parvient à bluffer lors d’une soirée de gala, et avec laquelle il ne tarde pas à conclure un pacte malhonnête: des séances de thérapie contre des révélations intimes sur ses clients les plus en vue (bonjour l’éthique professionnelle, on y reviendra…)
La première partie, contrairement à beaucoup d’avis que j’ai pu lire, m’a paru la plus intéressante.
C’est un véritable hommage à des films comme Freaks (Tod Browning) ,Elephant Man (Lynch) ou les Frères Falls (Polish), on se plaît à découvrir, à travers les yeux de Stan, cet univers à la frontière du malsain, rempli de monstres et de bizarreries en tous genres. L’ambiance est géniale, les décors et les éclairages sont de toute beauté. C’est sombre, boueux, et extrêmement bien filmé.
Malheureusement Bradley Cooper est un peu en retenue pendant cette première partie, mais comme il est aussi novice que nous à ce stade du film, on met ça sur le compte des besoins du scénario. Il se révélera quand son personnage aura besoin de prendre de l’ampleur…
Alors quand on assiste à son premier numéro de mentalisme dans sa vie d’après, on est un peu déçu que Stan n’opère pas le grand changement attendu, ne devienne pas le monstre de génie et de charisme qu’il faudrait qu’il soit. (Et on se met à imaginer ce que DiCaprio aurait pu donner dans ce rôle…) Mais c’est peut-être le personnage en lui-même qui n’est pas assez creusé..
Et c’est le gros problème de cette seconde partie: les nouveaux personnages qui y évoluent n’ont pas les épaules, les situations sont en dessous de nos attentes. Car Guillermo del Toro a su nous capter, nous captiver durant cette première heure de film… Le final a intérêt à être à la hauteur.
Mais hélas, Cate Blanchett est un «stéréotype sur pattes» de femme fatale, froide, élégante, (botoxée?) mais sans intérêt psychologique. C’est sans aucun doute le personnage le plus mal écrit du film, un comble pour une psy ultra manipulatrice. On se demande aussi quel est l’intérêt pour elle de céder à cet échange d’infos malsain avec Stan, alors que sa clientèle lui assure une vie très confortable, et que sa renommée est au plus haut…
Et ce n’est pas un incongru « je t’aime» envoyé à la fin qui suffira à expliquer son parcours pendant le film (franchement, on doit se contenter de ça…?)
Richard Jenkins (le «redoutable» Ezra Grindle) ne paraît jamais bien inquiétant, là où il est censé être d’une puissance et d’une dangerosité immenses (dixit Cate Blanchett), et ce malgré le bunker ultra surveillé dans lequel évolue le monsieur. Son homme de main (Holt McCallany, génial dans «Mindhunter») est ici largement sous-exploité.. Et Rooney Mara continue de sourire gentiment, comme elle le fait depuis le début, sans relief, mais en ouvrant de grands yeux quand tout ça devient trop horrible pour elle (assez peu fouillé, comme caractère, là aussi).
Les personnages du début commencent à nous manquer, ou du moins l’ambiance magique du début du film (c’est aussi à ce moment, au bout d’une heure et demie de film, qu’ont commencé à se faire entendre dans la salle des ronflements….. c’est dire..) Je ne parlerai même pas de l'épisode avec la clé dans la cire, pour s'insinuer discretos dans le cabinet de la psy, insulte à tout spectateur ayant bouffé du Hercule Poirot ou du Miss Marple dans son enfance...
En avançant dans le récit, on en sait plus sur le meurtre de l’ouverture du film: le flashback où Stan ouvre la fenêtre pour que son papa attrape froid prête presque à sourire, du coup, malgré le côté tragique (tout ça pour ça…).. Mais on en sait toujours aussi peu sur les motivations profondes des uns et des autres. Un vague relent de psychanalyse tente de justifier les comportements de Bradley Cooper et de Cate Blanchett (à coup de complexes d’Electre et d’Oedipe), mais que cela paraît léger et commun pour un film qui surfe sur une atmosphère aussi magique...
Ajoutons qu’une prédiction de tarot par Toni Collette vient nous annoncer une fin tragique: du coup, quand on voit Stan chiper le verre d’alcool (lui qui ne boit JAMAIS une goutte) à Blanchett, on sait comment tout cela terminera, et on voit venir la scène de fin à des kilomètres, d'autant qu'on a passé beaucoup de temps en première partie sur le personnage du crétin, il fallait bien que ça ait une justification à un moment de l'histoire sous peine d'être gratuit (L'arroseur arrosé).
Restent une ambiance magique pendant la première heure, une photo sublime et des cadrages parfaits (et les beaux yeux de Bradley Cooper), mais le scénario n'est pas à la hauteur des espérances, et c'est l'ensemble qui en pâtit au point de paraître bâclé. Tellement dommage.