Sitôt a-t-on vu « La lutte des classes » qu’il est quand-même bien difficile de ne pas s’insurger face à cet état de fait.
La situation en France est inquiétante. Le niveau global est désespérément bas. Et comme d’habitude on s’efforce de cacher la misère derrière quelques effets d’esbroufe.
Pas étonnant du coup que de plus en plus de gens aillent voir ailleurs…
Ah ça oui… Au moins ce film a-t-il ce mérite de nous rappeler cet état inquiétant…
…Celui de la comédie française.
Non mais qu’on regarde juste cette intro quoi…
Rien que sur la forme, ça pue le téléfilm tellement c’est plat.
Et avec cette musique qui – par-dessus le marché – s’inscrit dans la droite lignée de ces mêmes comédies insignifiantes des années 80, on en vient à presque toucher le fond.
Rien qu’à constater ce seul aspect-là moi j’ai envie de bader.
Le film vient à peine de commencer que déjà il ne reste plus que le scénario et les acteurs pour le sauver du naufrage.
Et bien évidemment, sur ce point-là aussi, le niveau est quand-même globalement assez consternant.
Le pire c’est que si ce constat m’attriste c’est parce qu’il y avait clairement moyen que tout ça prenne malgré tout belle tournure.
De Michel Leclerc je n’avais vu que « Le nom des gens » que j’avais plutôt bien apprécié – je l’avais notamment trouvé osé, tendre et généreux malgré les maladresses – de même que j’étais plutôt confiant dans la solidité du duo Baer – Bekhti pour incarner le couple au cœur de cette intrigue. (…Et pour le coup, à raison.)
D’ailleurs tout n’est pas à jeter dans ce film. Loin de là.
Ici aussi je pourrais louer une certaine audace ainsi qu’une réelle générosité de la part de Michel Leclerc et Baya Kasmi, mais tout est malmené par une lourdeur désespérante de l’écriture.
En fait le souci que j’ai avec ce film, c’est que je n’arrive pas à le voir autrement que comme un gigantesque artifice.
Tout fait faux tellement c’est forcé.
Le film a des allures de petit théâtre de l’école où chaque chose est amenée bien balourdement pour qu’on puisse bien voir l’intention, la signification, l’enjeu.
Ça va des dialogues qui ne cessent d’exposer littéralement les pensées et les situations des gens, au catalogue de minorités qu’on se doit d’afficher ostensiblement pour bien insister sur l’image qu’on veut donner de la société française.
C’est tellement appuyé que ça en devient totalement contreproductif, surtout qu’on sent bien que le film marche en permanence sur des œufs.
Alors après, au crédit des deux auteurs, je ne pourrais pas retirer à cette « Lutte des classes » d’oser y aller.
Le film s’attaque quand-même à un sujet sensible qui permet par effet domino d’en toucher tout un paquet d’autres. Et sur ce point, quand on fait la liste, on se rend compte que rien n’a vraiment été laissé de côté.
Mécaniques de gentrification et de ghettoïsation, pratiques de contournement, effets d’entrainement, fragmentation sociale, tensions identitaires, tentations de l’entre-soi, carences et dépassement des services publics : tout y est…
Mais le problème c’est que sitôt le film met-il le pied dans un sujet que tout aussitôt une batterie de précautions et d’opérations de désamorçage est déployée, si bien qu’on a l’impression que le scénario passe son temps à essayer d’éteindre l’incendie qu’il n’a pourtant même pas encore pris la peine d’allumer.
L’effet comique en est dès lors la première victime puisque ces opérations de désamorçage permanent désamorcent aussi et surtout l’humour qui va avec.
Or c’est dommage parce que parfois l’idée est là mais la frilosité de l’écriture et de la mise-en-scène flingue tout sur son passage.
Pour moi l’exemple le plus flagrant concerne ce moment où Sofia vient voir Dounia au sujet de ce que Rayane passe son temps à dire à Corentin par rapport à l’enfer.
On voit Sofia faire preuve de toutes les précautions nécessaires pour éviter de fâcher Dounia, lui demandant poliment d’aller en discuter avec son fils afin de régler l’affaire.
Dounia est là, à écouter poliment, en souriant, sereine… Et c’est là qu’elle aurait dû claquer de manière super posée : « en même temps c’est vrai ce que dit mon fils. Il va aller en enfer. »
Sauf que non, ce n’est pas ce qui se passe. Au lieu de ça on tergiverse, on tournicote, on veut vraiment montrer que Dounia est presque désolée de ce qu’elle pense parce-qu’il-ne-faudrait-surtout-pas-qu’on-la-fasse-passer-pour-une-intégriste, si bien que quand la vanne tombe, elle tombe TROP TARD.
Moi face à ce genre de loupé j’ai envie de dire que – de deux choses l’une – soit tu assumes ta vanne et dans ce cas tu la fais bien, soit tu ne l’assumes pas et dans ce cas-là tu ne l’as fait pas !
Et à force de louvoyer d’un côté et de chercher à détourner l’attention de l’autre avec des gags un peu potaches comme l’instit qui jargonne à l’excès et le directeur qui est un gros blaireau, cette « Lutte des classes » se dilue en une sorte de dissertation lourdasse qui ne laisse que peu de place aux choses qui parviennent à faire illusion…
Parce qu’il y a quand-même quelques trucs qui marchent dans ce film.
Je pense notamment à ces quelques scènes qui savent dire des choses sans pour autant parler, comme par exemple cette opposition entre Paul qui conduit son gosse à l’école à pied tandis que tous les autres gamins du quartier se retrouvent à devoir être acheminés en voiture parce qu’ils sont scolarisés ailleurs. L’image pour le coup est ici, je trouve, assez saisissante et parlante.
Idem j’aime assez bien tous les moments où Paul s’efforce de contourner sa propre logique – même si c’est souvent sur des exemples assez peu crédibles – et surtout j’ai aimé ce moment où il finit par craquer face à la directrice de l’école Turgot, au point de devenir soudainement juste. Pour moi, c’est l’un des rares moments où le film tape dans le mille.
Et puis de même, je ne peux pas retirer à cette « Lutte des classes » le fait que – malgré le fait qu’elle soit en démonstration permanente – elle pose souvent plus de questions qu’elle n’impose des réponses.
En cela le film évite le simple réquisitoire moralisateur (même si parfois il le frôle franchement) et c’est même d’ailleurs dommage qu’il n’ait pas davantage assumé cette position.
Car là où certains pourraient reprocher à ce film de ne pas savoir prendre position, moi au contraire j’aurais plutôt tendance à blâmer le fait qu’il n’ait pas su assumer jusqu’au bout une vraie posture de comédie.
Parce que c’est quoi une comédie ?
Une comédie ça reste avant tout un portrait de personne ou de société qu’on désamorce par le rire, et seulement par le rire.
Et sitôt tourne-t-on tout à l’absurde et sans tabou qu’on n’a plus à se poser la question de savoir ce qu’on s’autorise ou pas.
Si tout le monde en prend pour son grade, sur le même ton, et dans le même état d’esprit, ça reste encore le meilleur moyen de ne fâcher personne et surtout de décontracter tout le monde.
En fait le problème du duo Leclerc / Kasmi, c’est qu’il est à l’image du couple Paul / Sofia.
C’est un couple de bobos qui a son petit paquet de postures moralisantes mais qu'il ne parvient pas toujours à appliquer au quotidien… Alors du coup ils font sans vraiment faire, ils tergiversent, ils n’assument pas…
Et si ce genre de couple peut effectivement faire un très bon sujet de comédie, force m’est de constater qu’il peine davantage à s’en faire de bons auteurs…
Comme quoi, à l’école comme en comédie, la moraline est piètre inspiratrice.
En espérant qu’à l’avenir, les élèves Leclerc et Kasmi sauront réviser leur classique afin d’enfin faire remonter le niveau général de la classe…