Je commence à connaître Michel Leclerc et sa sensibilité de gauche qui transpire dans son écriture. Rassurez-vous, ce n’est pas un reproche, au contraire. « La lutte des classes » vaut par la présence d’Edouard Baer. J’ai apprécié son personnage Paul. Pour exercer dans une école primaire REP+, je connais, si je puis dire, la couleur des difficultés. Je la retrouve un peu dans le film. Au portail, je peux vous assurer de la présence d’un grand nombre de mères voilées dont quelques unes avec la fameuse « boîte aux lettres ». Ce qui est déroutant, ce sont les enfants. Pour mes CE1, en discutant avec eux, en s’amusant avec eux, je ne peux pas m’empêcher d’y voir un décalage avec leurs parents dont la mère peut être partiellement ou complètement voilée. Car ne nous trompons pas : l’habit est connoté religieux. Je ne peux m’empêcher de l’interpréter comme austère. Une austérité qui ne semble pas exister dans le comportement des enfants. Pour autant sont-ils vraiment en décalage avec leurs parents ? Pas vraiment après quelques conversations glanées ici ou là dans la cour de récréation. En effet, on peut y percevoir l’austérité de l’habit des mamans concernées dans leurs interrogations et curiosité. Je ne suis pas marié et j’ai trois enfants. Inconcevable selon eux. « Comment peut-on avoir des enfants sans se marier ! » Je passerai presque pour un bonimenteur ! Les câlins se refroidissent quand j’avoue ne pas croire en Dieu. « Tout le monde croit en Dieu ! » Ils me parlent de Paradis, me promettent l’Enfer et certains m’invitent à devenir musulman ! Il y en a même une qui m’invite à saluer son père en arabe ! Je suis « le sang » ! Informations rapportées à quelques collègues de CE1 qui me disent abattues : « La laïcité, c’est pas gagné ! ». C’est ce que veut certainement nous dire Michel Leclerc avec « La lutte de classes » à travers le fils de Paul et de Sofia (Leila Bekhti) ; on le voit perturbé à l’idée de ne pas éventuellement aller au Paradis aux dires de ses copains. Il ne faut pas se voiler la face (sans mauvais jeu de mots) mais ces discours tenus par des bouts de chou de 7-8 ans sont une réalité. Après tout, ils ne font que reproduire les schémas de pensées de leurs parents. « La laïcité c’est pas gagnée » cela préoccupe Paul devant le portail de l’école quand il côtoie des mamans voilées. Le dîner organisé par Sofia aurait pu être un bon moment du film. Malheureusement, cette séquence est ratée, elle a été négligée ; une porte de secours qui mène nulle part. Paul marque son désaccord aux propos tenus de Dounia et de Nadir, des propos connotés morale religieuse. Il est seul à assumer ses convictions. Il est lâché par Sofia qui préfère être bienveillante. Ce qui est louable. Mais dans cette séquence, on comprend sans comprendre la trahison de Sofia. Je dis sans comprendre car jusqu’à cette scène, le couple Paul et Sofia paraissait parler le même langage, être sur la même longueur d’onde quant à leurs valeurs, à leur philosophie de vie. Tout comme Paul, je me suis senti lâché. Je n’ai pas compris la frilosité ou la diplomatie (voire l’hypocrisie) de Sofia. Et ce qui est déplaisant dans cette scène, Paul est éméché. Ce qui a pour conséquences d’affaiblir son discours pour renforcer celui de Sofia. Michel Leclerc sacrifie Paul et invite le spectateur dans le camp de Sofia, la bienveillante. Paul passe pour ce qu’il n’est pas, en plus d’en faire un convive ivre, il en fait un facho gaucho bobo avec le coup de la kalash ! D’accord, le réalisateur veut faire son petit twist à sa manière, ainsi on apprend subitement que Sofia étouffe, qu’elle est sous l’influence de Paul. Ce n’est pas elle qui est contre le mariage, c’est Paul et bien d’autres choses qu’elle ne semble plus partager. Et soudainement, elle nous dit que cela ne peut pas durer, la séparation est inévitable. Michel Leclerc, par la voix de Sofia, se défile. Le film est ainsi, il n’apporte pas de solution, il tangue entre le principe de laïcité et les valeurs religieuses exposées au grand jour. On peut admettre l’habit, on peut se réjouir que l’école de la République rassemble toutes les communautés, sans aucune distinction, l’école de toutes les chances ; par contre, on ne peut pas admettre un discours religieux sous-jacent dans ladite école de la République et dans une société laïque. Voilà pourquoi Paul semble bien plus préoccupé que Sofia, car l’habit n’est pas innocent. Ce qui ne préoccupe pas Sofia, préoccupe Maryam Touzani et Nabil Ayouch dans « Razzia » ; lors de la Première à travers la France, des jeunes femmes sont venues lui dire qu’elles s’approprient le film ; ce que vivent les femmes au Maroc est semblable à certaines de nos concitoyennes dans les quartiers. Maryam Touzani, militante engagée contre le conservatisme religieux dans son pays, s’étonnait de constater qu’il était aussi à combattre dans nos sociétés laïques ! Seulement, Michel Leclerc, sans nous faire de l’angélisme de gauche, opte pour un récit prudent. Il n’arrête pas de botter en touche dès qu’il s’agit de nos concitoyens musulmans. Ne pas vexer, ne pas ajouter de l’huile sur le feu. Et puis, comme nous sommes dans un pays laïc, on tolère ce qui se combat âprement dans d’autres pays où la femme est soumise par la morale religieuse. Par contre, il s’autorise à blasphémer sur le Pape. Rassurez-vous, rien ne me choque dans l’Art, je l’écrirai aussi souvent que l’occasion m’en sera donné, et j’ai toujours crié, revendiqué le droit à blasphémer, mais que ce droit ne concerne que la religion catholique me paraît malhonnête. Par la voix de Sofia, Michel Leclerc choisit des pincettes ; par contre, il préfère se défouler avec la chanson sur le Pape ! On peut rire de tout, de nous-mêmes mais surtout rester prudent avec l’autre ! Coluche disait : « Si on ne peut pas se moquer des Arabes, c’est qu’ils sont vraiment Arabes. A partir du moment où l’on pourra se moquer d’eux comme des c*** ordinaires, alors il n’y aura plus de racisme ». Un soufflé qui se dégonfle à partir de cette scène du dîner qui n’assume pas « sa laïcité » et qui finit par se ratatiner avec la dernière séquence où une femme voilée vole au secours du directeur de l’école ; une scène navrante qui achève de plomber tout le film. Toutefois, l’étoile supplémentaire est pour le personnage Paul. Libération : " …la Lutte des classes" se contorsionne aussi pour ménager la chèvre et le chou, si bien qu’il finit par aligner un nombre impressionnant de clichés gênants".