C’est le grand retour de Michel Leclerc sur les écrans et il retrouve avec « La Lutte des Classes » ce qui avait fait le sel et la pertinence du « Nom des Gens », c'est-à-dire que sous des airs de comédie alerte, réussie, enthousiasmante parfois, se cache une vraie réflexion sur les convictions, sur les idées, sur ce qu’est devenue la société française aussi. Son film est très réussi dans sa forme car on sent que tout est très soigné, le rythme est soutenu, les dialogues sont très écrits, et la bande originale, sans être exceptionnelle, donne une couleur optimiste au film. Evidemment, je ne parle pas des morceaux du groupe de rock de Paul, son personnage principal, qui parodie un peu les Béruriers Noirs avec des textes outranciers quasiment éructés sur des guitares saturées. Michel Leclerc filme la banlieue comme on ne voit pas souvent, pas celle des Cités mais celles des petits pavillons, des écoles de quartiers de petite taille, la banlieue des marchés du samedi matin et des salles polyvalentes colorées. Il apporte aussi un soin particulier aux costumes, qui ici en disent toujours très long sur les gens qui les portent. Que ce soient des perfectos élimés, des tailleurs pantalons ou des hijabs, c’est par le vêtement d’abord que les personnalités s’affirment ici, comme si cela avait presque autant d’importance que les idées. Construit autour de trois rôles principaux, campés par Edouard Baer, Leïla Bekhti et le jeune Tom Levy, le film fait la part belle aux seconds rôles. Si Leïla Bekhti est parfaite en jeune avocate (véritable incarnation du mérite républicain), et si Tom Levy est très attachant en gamin turbulent, c’est Edouard Baer qui tient le haut du pavé. Batteur de rock, très ancré dans la gauche militante (visiblement c’est de famille, comme c’est souvent le cas), il ne veut rien renier de ses engagements, et se retrouve presque prisonnier de ses propres certitudes. Edouard Baer est formidable, et dans certaines scènes il est même plus que ça ! Je trouve ça bien qu’Edouard Bear flirte ainsi avec une certaine autodérision, en ce moquant gentiment de lui-même et de l’image qu’il renvoie parfois. Quant aux seconds rôles, qui sont nombreux et très bien croqués, ils sont tenus par Ramzy Bedia, Baya Kasmi, Claudia Tagbo ou encore Eye Haïdara et leur personnages mériteraient presque plus de lumière qu’il en ont, tellement ils semblent riches et pétris de contradictions eux aussi ! Le scénario est finalement bien plus complexe et riche que le pitch du film pourrait le laisser supposer. Le propos de « La Lutte des Classes » va bien au-delà de savoir si on peut continuer à être « de gauche » tout en scolarisant ses enfants chez les cathos. Evidemment, c’est le point de départ du film mais, en dépit parfois du manque de finesse de certaines scènes, le long-métrage en dit long sur la France d’aujourd’hui, une France de plus en plus communautariste, ou paradoxalement tout le monde est arc-bouté sur ses propres certitudes tout en marchant en permanence sur des œufs à propos de tout ! Quand je parlais du manque de finesse du scénario sur certains points, c’est le cas lorsqu’il rentre dans l’école. Ici, soit l’école est riche et catholique au point d’en être une caricature, soit l’école publique est dénuée de moyen au point aussi d’en être elle aussi une caricature. Et je ne parle pas du pédagogisme ridicule de l’institutrice, qui n’existe que des comédies du cinéma et dans les phantasmes des réactionnaires de tous poils. Quand le film parle de l’école, il tombe dans la caricature et c’est bien dommage car quand il parle du reste, il vise juste. Dans « La lutte des Classes », ce que je trouve très réussi, c’est que tous les personnages cristallisent toutes les ambigüités de l’époque, tous ont raison et tous se trompent, tous leur arguments font mouche même quand ils se contredisent, parce que la vérité est complexe, les arguments pour la démontrer le sont tout aussi. C’est une société qui n’a plus les repères binaires d’il y a 30 ans : la Gauche, la Droite, le Bien, le Mal, le laïc, le religieux, tous les repères sont brouillés, et il faut désormais vivre dans cette époque confuse, et fonder une famille, avoir des enfants, les élever, les scolariser, avoir des amis, côtoyer ses voisins, faire carrière, avoir un mode de vie plus ou moins en rapport avec nos convictions, c’est devenu difficile, et le film le montre parfaitement. Du coup, on peut passer l’éponge sur l’institutrice ridicule, le voisin juif orthodoxe qui construit des murs, la maman femme au foyer et donneuse de leçon et toutes ces petites choses un peu caricaturales. La fin du film et certes inattendue mais elle aussi un peu caricaturale. Le dénouement final, très politiquement correct pour le coup, est presque aussitôt désamorcée par Michel Leclerc, et j’aime bien cette fin douce-amère qui explique que si les choses semblent réglées en apparence, au fond elles ne le sont pas plus qu’avant ! « La Lutte des Classes » est une comédie intelligente, très bien écrite et qui permet à Edouard Baer de composer un personnage truculent, alors fermons les yeux sur les petites exagérations et sur les petites facilités du scénario, ne boudons pas le plaisir de ce moment de cinéma réussi.