Dans l'art chabrolien, dans cette peinture sociale où la bourgeoisie française se dissèque, chavire le vrai et le faux, dans le brouillard permanent du réalisme et de l'onirisme. Ne jamais prendre au premier degré son fantasme cinématographique est l'une des clés essentielles à la compréhension d'une oeuvre bien plus abstraite que concrète; l'interprétation substitue ce désir de comprendre. Merci pour le chocolat est le jouet d'une histoire étrange. Mika Muller, hantée par la formidable Isabelle Huppert, dirige une société de chocolats alors que son mari, André Polonski, inspiré par le grand Jacques Dutronc, est un pianiste virtuose. Paradoxalement, le nom du premier ressemble à une marque de chocolat bien réelle, et non fictive, tout comme le prénom de ce dernier qui rappelle un peu trop celui de Roman Polanski. Le décor est avant tout psychologique et s'enlise progressivement une ambiance expérimentale. En effet, ce couple est absent dans beaucoup de domaines, comme la vie en ménage tout simplement, pour symboliser une ambiance somnambulique. Leur fils est la somptueuse allégorie de cette humeur générale, et qui englobe la totalité du film; la mère l'exprime par une boisson qu'elle lui donne quotidiennement, qui l'endort à moitié, tel un somnambule qui prendra consciences par la suite de son état. Cette cruauté inexplicable s'enchaîne à une intrigue parallèle où une jeune fille venue de nulle part pourrait être la véritable fille d'André Polonski. Une rivalité entre le fils et la nouvelle venue explose l'édifice familial, la vérité est perpétuellement remise en question. Pourtant, les deux caractères s'allient contre la mère qui pourrait être l'objet d'une vengeance envers son propre fils, qui ne serait d'ailleurs peut-être pas le sien. Ces bouleversements, ces intrusions dans le cadre de cette famille bourgeoise, qui semblait si tranquille, sans histoire apparente, révèle le sombre tableau de personnalités équivoques. Ambivalent et complexe.