Ce film est à voir, remarquable, subtil et intelligent, un pamphlet très théâtral contre l'hypocrisie de la société, iranienne ici, et nous spectateurs occidentaux avons forcément beau jeu d'observer avec stupéfaction des comportements et des situations auxquels nous ne sommes pas habitués, tant ces mariages arrangés entre personnes de conditions sociales et d'âges opposés à l'extrême nous semblent éloignés de notre propre expérience. Au-delà de la condamnation, facile, il faut comprendre les mobiles de chacun et décrypter la raison d'être de cette émission. Comme dans toute bonne émission de téléréalité, nous voyons se dérouler, en accédant aux coulisses de l'émission, tout un cérémonial, avec des pions, les protagonistes, qu'il va s'agir de contrôler et de faire agir, en les tenant au maximum dans les limites des normes sociales admissibles et de la religion, le tout au service d'une œuvre hautement moralisatrice, ayant pour but d'inciter tout le monde, y compris les téléspectateurs, à transmuer la haine et le ressentiment en pardon. Une noble cause, mais tout est critiqué car tout est faux, caricatural, tout est simulacre, tout le monde ment et tente de manipuler, et tout est sous le contrôle des producteurs, comme dans Acide sulfurique d'A. Nothomb. Sous prétexte de glorifier la religion et les lois en évolution dans un pays qui renonce peu à peu à l'horrible loi du talion, nous assistons à un spectacle distancié, haut en couleurs et en rebondissements, proche des jeux du cirque, où celle qui joue rien moins que sa vie dans l'émission, est la seule à ne pas vouloir jouer un jeu de dupes honteux et humiliant. Elle se distingue par sa sincérité et une voix non apprêtée, gênante tant pour les autres protagonistes et organisateurs de l'émission que pour le spectateur qui s'irrite de son ton larmoyant de victime, qui n'est pourtant que celui trop naturel sans doute d'une femme offensée, abusée et indignée par tant de mensonges et son sort cruel, vu qu'elle subit un emprisonnement qui ne finira pas même avec la grâce obtenue tout à la fin. Une vie de femme gâchée comme celle de beaucoup d'autres femmes mariées malgré elles, chargée d'un meurtre qu'elle n'a pas commis, (elle a juste fui apeurée) et coupable de ne pas avoir avorté (elle s'était engagée à ne pas tomber enceinte...). Elle va quand même finir par demander pardon en pleurant comme le scenario le prévoyait (après la révélation que son fils n'est pas mort comme elle le croyait) et Mona, la fille du mort, comme prévu aussi au programme, finit par pardonner, en pleurant aussi. Les spectateurs sont donc satisfaits, tout comme les producteurs de l'émission, et la morale est sauve : repentir et pardon, amen. Sauf qu'à un autre niveau le film montre très bien les dessous très humains cachés sous les comportements montrés en public : appétits purement sexuels du vieux don Juan, contractant des mariages provisoires, appétit d'argent de la mère de Myriam et de la fille du mort, qui n'accepte de renoncer à la vengeance que pour récupérer le magot, qui a gonflé pendant l'émission grâce aux téléspectateurs. Avec ce concept d'émission s'effectuait il y a encore peu, la moralisation de la société à travers la catharsis opérée sur des spectateurs émus et loués pour leur vote de compassion par un présentateur affectueux et rassurant. Oui mais aussi après s'être bien repus, en voyeurs, des scènes d'un duel sordide et cruel, entrecoupé par la diffusion flatteuse de chansons mièvres, sans oublier le nerf de la guerre, la distribution d'argent qui aidait fortement celui qui renonçait au talion, à accepter le "prix du sang", remis par les sponsors, une pratique jugée parfaitement naturelle. Triomphe final de l'argent, la clé de tous les comportements humains de par le monde car l'humanité est bien la même partout. Il n'empêche que ce genre de société moderne inquiète à la manière de celle imaginée par Orwell. Et la justice là-dedans ? Chaque pays a ses lois propres, normales ici, ridicules là, et ses parodies de justice. Gide proposait de réfléchir sur les nôtres dans son témoignage sur la Cour d'assises.