Et bim ! Je viens de me ramasser un nouveau film de Quentin Dupieux dans la face et voilà maintenant qu’arrive ce moment fatidique où je dois m’efforcer de poser des mots dessus. C’est jamais évident ce genre d’exercice et ça peut très vite basculer dans une forme de pathétisme, la vidéo de Durendal à ce sujet en étant une très belle illustration. Parce qu’en effet, il est quand même un peu frappé l’ami Dupieux et c’est vraiment chose difficile que d’avoir à commenter son travail. Certes, avec le temps – et parce qu’il commence à enchaîner les films – on finit par voir chez lui quelques schémas se dégager. Seulement voilà; c’est aussi parce qu'il a cette capacité à rompre avec les schémas – y compris les siens – que Quentin Dupieux parvient toujours plus ou moins à me séduire. En tout cas, pour ce « Daim », il parait assez évident que l’ami Quentin est davantage revenu à l'esprit de ses épisodes « américains ». Alors que le retour en France qu’incarnait « Au poste » avait fait dévier son cinéma vers un vaudeville plus maniéré et convenu, on sent ici qu’avec le « Daim » il entend clairement revenir aux origines. On retrouve ainsi davantage cet humour de l’image sans le verbe, ce comique construit sur le décalage. On renoue aussi avec ce jeu sur les codes du cinéma de genre et même avec cette photographie laiteuse qui faisait l’identité de ses productions californiennes. Du coup, forcément, avec ce « Daim » reviennent les problématiques des « Rubber » et autres « Wrong ». Et le problème de ces films, pour moi, ça pouvait se résumer en une question : « jusqu’où le délire peut-il tenir ? » Parce qu’aussi absurde se veut-il être, un film reste avant tout un cheminement. Et même s’il y a un vrai plaisir à voir un auteur jouer avec les codes du cinéma comme le ferait un sale gosse, le risque est de très vite tourner en rond et de lasser le spectateur (ce qui était pour moi le gros problème de « Rubber » et, en partie mais en moindre mesure, de « Wrong »). Mais dans le cas de ce « Daim », on sent quand même que Dupieux continue de mûrir son art (à moins que ce ne soit moi qui en ai mûri la vision), puisqu’ici, au-delà des contre-pieds et ruptures avec lesquels il s’amuse, le réalisateur trublion arrive à poser un fil conducteur auquel le spectateur peut se raccrocher. Pour ceux qui ont vu ce « Daim », je parle ici notamment de
la « deerification » de Georges : véritable métamorphose vestimentaire qui suit en fait la métamorphose du personnage et du film. On sait qu’une fois la mutation pleinement accomplie, on sera à un paroxysme filmique. Et c’est tout bête mais pour moi c’est le genre d’artifice dont j’ai besoin pour me mettre en phase avec la dynamique d’une œuvre. Ça me fait plaisir que l’ami Quentin se permette ce genre de concession afin d’offrir au spectateur une voie d’accès. De mon point de vue ça ne retire rien à son exigence, mais ça le fait sortir d’une volonté d’obscurantisme qu’on pourrait qualifier d’égotique et d’égoïste.
Et puis au-delà de ça, ce « Daim » fonctionne aussi d’autant mieux sur moi qu’à ce fil conducteur s’associe un vrai propos que j’ai trouvé très intéressant d’explorer. Alors certes, à mon sens on ne retrouve pas ici la puissance et la richesse de ce chef d’œuvre (sûrement indépassable) qu’est « Réalité », mais on va clairement au-delà de films comme « Rubber » ou « Wrong » en termes de profondeur et de construction. Car ce « Daim » se veut clairement une déclaration d’amour, voire une introspection, à la démarche auteuriste dont Dupieux se réclame. Difficile d’ailleurs de ne pas voir en ce personnage incarné par Jean Dujardin une sorte de transposition du personnage qu’incarne Dupieux en dehors des plateaux de tournage. Même barbe blanchie, même décalage vestimentaire, même verbe désabusé, décalé et souvent abrupt. Georges c’est lui et son cinéma. C’est cette œuvre qu’on construit quasiment à l’arrache, guidé par une sensation pas forcément construite ni noble, et qui nous mène parfois on ne sait où. Il y a un peu de folie là-dedans, une forme de masque et de mégalomanie, beaucoup de solitude. Mais au final tout cela peut se réduire en tout et pour tout à…
un daim. C’est-à-dire un animal pas très futé qui s’agite pas mal, avec beaucoup d’insouciance, avant de mourir bêtement, sans clairvoyance sur l’existence de la menace, mais surtout sans véritable considération de la part de celui qui l’a abattu.
Alors certes, tout cela est au fond assez méta et pas mal égocentrique, ce qui n’est pas forcément mon trip à la base, mais avec Dupieux ça passe carrément. Ça passe d’abord parce que Dupieux fait l’effort de transformer son introspection en véritable objet filmique intrigant et amusant, contrairement à d’autres qui font beaucoup moins d’efforts quand il s’agit de s’autopomper la nouille (kof kof « Amour et gloire » kof kof). C’est court. C’est dense. C’est direct. Et surtout, ce film, il transpire le cinéma de partout. Cette introduction décalée, mais en même temps sèche et brute, ça m’a tout de suite fait penser à du Tarantino. Même chose pour les moments de
slasher
qui m’ont rappelé la crudité et l’efficacité des récentes productions scandinaves. Et que dire de ce final, totalement absurde, mais qui vient faire référence de manière totalement décalée
au « Deer Hunter » de Michael Cimino. Or, pour le coup, ce genre de décalage, c’est clairement de l’humour Canal comme moi je l’aime !
Et au fond, c’est ça moi qui me fait aimer le cinéma de Quentien Dupieux. Au-delà de sa personne et de ses névroses qui imprègnent ses œuvres, il y a un véritable amour du cinéma qui se ressent dans chacun de ses plans, qui s’inscrit dans ses films, et qui se transmet ensuite aux spectateurs qui savent y être sensibles. Et donc moi, rien que pour ça, je ne peux qu’aimer ce mec, aimer son cinéma. Aimer « le daim »… Oui, je l’ai dit : je t’aime Quentin Dupieux. Mais bon après, tout ça ce n’est que mon point de vue. Donc si vous n’êtes pas d’accord et que vous voulez qu’on en discute, n’hésitez pas et venez me retrouver sur lhommegrenouille.over-blog.com. Parce que le débat, moi j’aime ça… ;-)