Un couple d'artistes oscillant entre la musique et le cinéma, deux acteurs principaux incroyables, une sensibilité à fleur de peau, une séparation douloureuse, des scènes monochromes si justes et si belles: on se croirait presque replongés dans Lalaland, l'énorme succès de Damien Chazelle.
Mais ici, l'aspect est plus réaliste, sinon naturaliste: non, la beauté n'est pas là où l'horreur n'est pas, les contraires se confondent et se confirment. C'est d'ailleurs la dynamique du film: on est touché dès les premiers mots de Nicole (Scarlett Johanson) et ses quelques redites émues, qui font oublier qu'elle lit un script. L'effet de réel, surtout dans une histoire d'amour (oui, c'en est une, j'y viens), est rare, surtout de cette manière, si juste, si peu excessif (ah oui, Nicole, eyes wide shut?).
Le film a pour lui d'être extrêmement bien filmé, ces monochromes incroyables, les fondus enchaînés fonctionnent bien, les plans, dans le métro, et les beaux silences, il joue même d'un lieu commun - la profondeur de champ à la fin, coucou Lucky Luke - en le sublimant: le père d'Henry, d'abord détesté pour son talent égocentré, devient touchant, peu à peu, sans être néanmoins aimable. L'enfant lui-meme évolue dans sa perception. Oui, quand il se coupe, il s'évanouit. Quand il lit une lettre de son ex, il pleure. Il n'est pas parfait, il a des défauts, comme le stygmatise le mur à l'assistante sociale.
Le film ne déroge pas à la règle: on peut regretter le jeu d'acteurs secondaires, la grand-mère notamment, dont le jeu médiocre contraste malheureusement avec ce jeu radieux de Scarlett Johanson, qui par son talent, son jeu intelligent, calculé et fin, prend toute la place. De même, d'infimes longueurs viennent ponctuer le film, qui est parfois plus rationnaliste qu'ennuyant, comme une œuvre trop parfaite qu'elle semble inatteignable. Heureux soient les défauts, donc!
Pour les deux acteurs principaux, on peut parler de performance, mais leur état de grâce n'a rien de commercial. Ce n'est pas du pur consommable, c'est du complexe-complexe. Dans cette incompréhension, Gondry n'est pas loin: tout est beau, puis tout bascule, tout n'était pas simple.
Les enjeux complexes de ce film viennent également de son discours: tantôt ouvertement pro-féministe (l'avocate), tantôt dépolitisé, le film oscille entre ces réalités et ces personnages avec un certain génie, refusant toute simplification, tout manichéisme pourtant si tentant.
En résumé, nous faisant sentir l'odeur de son pain grillé, le réalisateur nous invite dans ce monde incroyable, le nôtre, où tout semble nouveau étant pourtant si ancien, donnant un fil cyclique à une histoire sans queue ni tête (c'est le principe du cercle) ou plutôt ne se résumant pas à la passion ou à la raison: un chef d'œuvre à éprouver absolument.