Déformant sans relâche les règles strictes et surdéfinies du 7ème art pour mieux y loger son esthétique réaliste et éprouvante, Lars von Trier sublime l'amour qu'une mère peut porter à son enfant dans ce film fabuleusement atroce. La perfection du jeu des acteurs, la finesse, le soin et la brutalité de la réalisation, et en même temps son singulier décalage par rapport à elle-même en font une de ses oeuvres les plus discordantes aux convenances. L'influence dogmatique profonde de Lars Von Trier se fait ressentir de part en part du métrage. Néanmoins, l'expérience Dogme95 ayant déjà été menée, Lars Von Trier décide de s'attaquer à nouveau à un genre très codifié du cinéma: la comédie musicale et il s'attèle l'édification d'une nouvelle de ses branches: le génie danois invente avec son brio éternel le drame musical. Elevant peu à peu, comme un mur, autour du spectateur et de ses acteurs, une ambaince tragico-pathétique, nous encerclant et emprisonnant dans un cercle vicieux des amours et des souffrances auprès du personnage si attachant de Selma , le cinéaste, grâce à une bonne centaine de caméra numérique placées ça et là sur les lieux de tournages, décompose chaque mouvement des acteurs et des danseurs, chacune de leur parole pour mieux les réassembler et favoriser une perception parfaite de l'instant onirique vécu par la protagoniste lors des scènes musicales. Et, c'est dans cette opposition "réalité dogmatisante" et "comédie musicale fictive", cette marginalistaion des univers tantôt terne et triste, tantôt saturé en couleurs et en optismisme, que Lars Von Trier cerne avec aisance la douleur intenable supportée par les personnages, qu'il porte la peine ressentie à cause de l'injustice endurée par Selma à un point encore plus fort et percutant qu'il ne devrait l'être pour ne pas faire fléchir quelqu'un devant la cruauté et la beauté de l'être humain. Seulement, un fois cette géhenne, ce mal cerné si magistralement par les caméras, les acteurs pourraient juste réciter leur texte que ce serait déjà un brin d'émotion, le film qui titille juste les glandes lacrymales sans les vider de leur substance. Mais, ils n'en firent rien. Chaque acteur, soumis à l'omnipotence de l'objectif et du réalisateur, littéralement acculé et démembré, déchiré par son rôle et disséqué devant la pudeur choquée des spectateurs, se livre avec un vérité, une crudité inouïe à une histoire bouleversante prête à les détruire. Ballotés entre les meutres, les trahisons, leurs amours et leurs amitiés, toutes brisées avec fracas, chaque acteur s'écorche à travers son rôle avec tant d'intensité qu'il écorche avec lui le spectateur dans le mouvement de réalisme flamboyant du réalisateur. Björk, dont la relation profondément houleuse avec Lars Von Trier fut comparée avec celle de Stanley Kubrick et Shelley Duvall, alla jusqu'à quitter le tournage, ne supportant plus la pression continue du réalisateur ou à affirmer que le cinéaste avait détruit son âme dans la lettre qu'elle adresssa à Nicole Kidman juste avant le tournage de "Dogville". Néanmoins, c'est elle qui due revenir, se remettre à nue avec tant de barbarie, celle qui due pleurer ses propres larmes et non plus celle de Selma, celle qui hurla avec sa propre colère, sa propre haine, sa propre peur, son propre désespoir, suivant les désirs du metteur en scène, nous mettant face à la plus belle interprétation qui existe. Ainsi, blessure sur blessure, larme sur larme, compassion se mêlant à la révolte, compréhension se mêlant avec le dégoût, Lars Von Trier réalise un film maîtrisé de bout en bout, qui libère son immense lot de sentiments, sans fausses notes, en opéra impeccable et douloureux, nous jetant au visage, comme un lance une crachat ou un baiser, la cruauté, la beauté, l'infamie et la générosité, dépeigant avec un verve remarquable la palette émotionelle que l'on à tous dans le coeur au plus profond de nous même.