My name is Selma, married to myself
My love Selma, living by herself...
Je repensais à Antichrist en voyant Dancer in the Dark. Et je me demandais comment certaines personnes avaient pu oser le taxer de misogyne. De quelle façon Lars Von Trier pourrait-il l'être, lui qui accorde une telle importance aux femmes dans son cinéma ? Dans la continuité de Breaking the Waves et Dogville - entre autres - Dancer nous offre un personnage féminin d'une éclatante et rare beauté, qu'elle soit physique ou morale. Il y a une vraie lumière qui émane de Selma, quelque chose de véritablement étincelant qui éblouit totalement le spectateur ( mais pas au point de le rendre aveugle ). Si Lars Von Trier n'évite pas un certain manichéisme dans l'opposition entre les personnages, il faut dire que celui de Selma est d'une profondeur psychologique intense. Jeune femme un peu - beaucoup - à part, touchante de par sa manière d'être en retrait, de ne pas vouloir faire de vagues mais s'attirant malgré tout les problèmes, Selma suscite irrésistiblement l'empathie du spectateur, que la mise en scène au plus près des corps du cinéaste danois met davantage dans une position d'intimité envers l' " héroïne " du film. La caméra, plus que portée, est quasiment collée à Björk, suivant tous ses mouvements, captant la moindre de ses émotions, donnant l'impression au spectateur qu'il lutte avec elle envers et contre tout. Le cinéma de Von Trier appelle vraiment à une implication encore plus importante du spectateur, et que l'on adhère ou pas à ses films, il semble indéniable qu'il y a dans son art une capacité à faire réagir, à stimuler.
Selma est donc un personnage attachant, sentiment que la succession d'événements et autres humiliations contre sa personne viennent renforcer. Il y a quelque chose de l'ordre de la révolte chez le spectateur, devant ce constat que le personnage principal subit plus qu'elle n'agit, malgré sa volonté. Du coup, quand l'acte décisif du film a lieu, le questionnement moral est inévitable. Et les pensées que le film est " caricatural de la mauvaise façon " ( s'entend, caricatural sans que cela n'ait réellement d'utilité ) sont alors balayées d'un revers de main.
J'en reviens donc au manichéisme du film, qui n'est finalement pas aussi grossier qu'on pourrait le penser, et qui a surtout une valeur symbolique tout en étant beaucoup plus malin dans son utilisation qu'il n'y paraît. Il y a une générosité dans la mise en scène de Lars Von Trier, qui se retrouve dans son écriture, que certains pourront trouver peu nuancée. Mais cela se retourne en fait au sein du film - la séquence du procès - pour n'apparaître en fin de compte que comme un discours pertinent et lucide sur l'humanité. Comme d'autres films de son auteur, Dancer épingle d'abord l'Amérique et ses bassesses pour dresser un portrait peu reluisant de l'être humain en général. Le rêve américain est ici une totale désillusion, et la terre promise a vite fait de se transformer en terrain miné par le peu de morale de ses habitants. La réalité est à ce point si laide que la seule échappatoire ne peut se faire que par le moyen du rêve et de la fiction. Ce qui donne au film un cachet poétique d'une grande beauté, en dépit de séquences musicales que je trouve peu réussies sur le plan strictement visuel, qui sont des bouffées d'air frais réjouissantes dans un monde en proie au désespoir. Ce qui est admirable, c'est la façon dont Lars Von Trier et Selma s'approprient un lieu ou une situation banals pour en extraire toute la beauté cachée, comment à partir d'un point de départ quelconque ils parviennent à magnifier le monde. Cela passe aussi - et avec moins d'efforts de l'imagination - par le cinéma, envers lequel le film est une véritable déclaration d'amour ( " Je pars à l'avant-dernière séquence musicale d'un film, pour qu'il ne finisse jamais ". Tout est dit. J'ai été ému comme rarement ). Dancer in the Dark montre la puissance de la fiction - qu'elle provienne de nous ou d'ailleurs - contre la laideur du monde. Et il le fait très joliment, avec une intelligence émotionnelle portée à son apogée.
Au final, un grand film tragico-pathétique, un drame musical touchant , avec une Björk aussi talenteuse devant la caméra que derrière un micro. C'est dire son génie.