Très bon premier film d'Alejandro Gonzalez Inarritu (dont je n'ai vu en fait que du très bon, notamment Babel et 21 grammes), qui dessine, dans ce film au titre mélodieux bien que libidineux, une sorte de fresque du malheur humain. Cela dit, c'est très bien fait et ça ne tombe pas dans le fatalisme ridicule et ennuyeux : tous les personnages veulent vivre (quitte à tuer, ou à quitter sa famille), ils veulent aimer, mais dans les trois pôles développés et narrés par ce film (trois histoires suivies en deux heures et demi), il y a toujours une fin moche, une fin triste. Le film a aussi l'avantage de ne pas moraliser cette élégie du malheur : ce n'est pas parce qu'un homme a mal agi qu'il est puni, que le destin se retourne contre lui ; il n'y a pas de loi, ni de justice transcendantes qui permettraient de faire correspondre à un acte mauvais une fin mauvaise. Non, le film raconte du malheur, mais du malheur hasardeux, que rien ne prédestine, que rien ne justifie, que rien n'appelle. Du pur et du beau malheur (bien que l'on puisse se dire à chaque moment que c'est bien fait pour leur tronche, puisqu'ils ont fauté).
Un mot tout de même sur la construction du film ; très pompeusement, la "forme de l'oeuvre" : trois histoires se succèdent, je l'ai dit. Mais aussi bien, les trois histoires se mélangent ou se chevauchent, donnant l'impression, finalement, d'une seule intention (je l'ai dit aussi, le pur malheur). Mais c'est le rapport à l'espace qui rend possible ce chevauchement assez réussi : on a l'impression que les personnages des trois histoires se croisent, vivent à côté les uns des autres, tout en s'ignorant complètement dans la trame de chaque histoire particulière. Ce film est construit comme un noeud ; tout se trame dans un même espace, mais absolument pas de manière homogène : tout est emmêlé, bien que différent et indépendant. Je ne sais pas si Inarritu a eu l'intention d'une ontologie du noeud, de l'écheveau ou du tissage désordonné (j'ajoute un lol), mais en tous les cas, ça pourrait coller.
Bon rapidement un mot sur les trois histoires, bien que je n'aime pas trop ça : dans la première, deux frères se fritent, un des frères (Gael Garcia Bernal, beau et efficace comme à son habitude) veut (et aime, tout de même) la femme de l'autre frère, qui la traite comme une chienne. Ils n'ont pas de fric, et recourent chacun à des voies illégales pour la satisfaire (l'un braque, l'autre fait combattre son chien). Dans la seconde histoire, un mari et père dévoué quitte sa jeune famille pour un mannequin (très jolie blonde), et met tout son fric dans un nouvel appartement, pour combler sa nouvelle compagne. Dans la troisième histoire, un associé demande à un clochard ancien guerillero de tuer son associé, qu'il soupçonne de piocher dans la caisse de son entreprise. Bon juste un mot sur toutes ces histoires, parce que je l'ai déjà précisé et parce que je ne veux pas trop en dire : chaque histoire est une descente aux enfers, et chaque histoire intervient dans la descente aux enfers des autres histoires (c'est quand même très bien pensé).
Un mot maintenant sur les chiens, parce que ça grouille de cabots : mais pas parce qu'Inarritu les aime, je dirai même plutôt parce qu'ils les déteste (et ça, c'est un bon point). C'est simple, il y a plus de chiens morts que d'hommes morts, alors que côté humains, ça décède quand même pas mal... Mais toutes ces relations hommes-bêtes détruites dans le sang, c'est quand même assez réjouissant (parce qu'assez rare).
Sinon, acteurs très bons (bien que pas connus), et réa excellente (vraiment excellente).
Pour trouver des points négatifs, je dirais musique (insuffisamment mise en avant), et esthétisme (ça manque un peu de recherche sur l'image ou le beau, mais enfin, ce n'est pas l'objectif ici (rappelons-le, la vie est moche, et l'image participe dans le film de cette mocheté quasi ontologique)).
C'est mexicain, mais c'est du lourd, 17/20.
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