Bernadette a neuf ans trois quarts. Hyperactive, elle est sourde à toute forme d'autorité et résiste avec la dernière violence à ceux qui entendent la lui imposer. Sa mère a baissé les bras. Les services sociaux ont pris, sans succès le relais.
L'enfant a souvent été présenté, dans la littérature ou au cinéma, chez Dickens ou Hugo, comme la victime innocente d'un ordre implacable. C'est récemment, avec "Les Quatre Cents Coups" de Truffaut qu'il a été érigé en sujet autonome, au moins autant acteur que victime de sa propre destinée. On en trouvait la figure dans un autre film allemand, "Jack", que j'avais classé dans mon Top 10 de l'année 2015 mais qui hélas était passé inaperçu.
C'est précisément cette ambiguïté dans le personnage de Benni qui la rend plus crédible et plus intéressante. Malgré sa blondeur et ses yeux bleus, Benni n'a rien d'angélique. Un traumatisme dans sa petite enfance (viol ? tentative d'infanticide ?) déclenche des réactions d'une rare violence dès qu'on lui touche le visage. Sa soif inextinguible d'amour maternel est constamment trahie par les fausses promesses de sa mère. Toutes les solutions de rechange que lui proposent inlassablement les services sociaux, incarnés par Mme Bafané, cette assistante sociale d'une infinie patience au centre de la scène la plus déchirante du film, et par Micha, cet éducateur jeune père de famille qui la prendra sous son aile au risque d'y perdre la distance, sont pour Benni des pis-aller inacceptables.
Le film pourrait faire du sur-place, s'enfermer dans une succession infiniment répétée de rémissions (un séjour en forêt avec Micha) et de rechutes (une nouvelle fugue, une nouvelle bagarre). Chaque espoir que fait naître l'amélioration de l'état de Benni semble condamné à être fatalement douché par une nouvelle déception. Sans doute, le scénario avance-t-il sur ce rythme binaire. Mais il a l'intelligence d'offrir suffisamment de bifurcations pour ne pas être prévisible. Et surtout, il laisse suspendu, jusqu'au plan ultime, dont je ne suis d'ailleurs pas certain d'avoir épuisé le sens, le sort de l'héroïne : chute ou guérison ?
Le titre original du film, "Systemsprenger" (dynamiteur du système), donne à la jeune Benni une dimension politique qu'elle n'a pas : elle ne dynamite pas le système, pas plus que l'attention inépuisable quoique stérile qu'une cohorte d'éducateurs lui prodigue démontrerait je-ne-sais-quel gaspillage de l'argent public. Le titre français, "Benni", est bien meilleur qui recentre le film sur son seul sujet : son héroïne.