Michèle Morgan en ingénue, Bourvil en gentilhomme plus galant que jamais : une rencontre. On s'attend presque à un crime qui viendra briser le tout et à ce que surgisse, dans un local de police, la vitre sans tain à laquelle on se dit que le titre doit faire référence. Mais non : le miroir sera tout autre et le sujet n'a longtemps rien du polar. Au contraire, son intérêt pour les fondements de la séduction et du couple bourgeois ne décevra pas notre espoir d'une fine étude des mœurs.
Car les voilà en couple. Puis dix ans passent et les mondanités s'effacent. L'intimité, peu à peu, engendre sous notre regard ses travers familiers : l'honnêteté se transforme en agression, la complicité en indélicatesse. Bourvil trop gentil devient un monstre intense et terrifiant, l'humour du film servant à lui faire dire ses piques les plus cinglantes.
Alors on commence de questionner les apparences. Les faux-semblants de l'amour socialement normé sont-ils pires que l'outrecuidance qu'on se permet dans un mariage, sous couvert du plein engagement qu'on lui prête à l'époque ? Où est le respect de soi si l'on perd celui de l'autre ? Poussée à bout, Morgan (ou plutôt son personnage) opte pour une solution bien plus moderne afin de se respecter enfin : la chirurgie esthétique.
Le tumulte s'ensuit. Qui a le plus raison ? La femme qui saisit sa liberté dans un élan de progressisme en reprenant les droits qu'elle a sur elle-même, ou bien l'homme pragmatique qui a le sentiment qu'on lui a pris sa femme ?
Un peu de mensonge et la problématique n'est plus seulement une histoire de mœurs qui évoluent, mais de moralité dans l'absolu, même si on a la curieuse impression que le film est tellement en avance sur son temps qu'il manque de recul pour vraiment savoir quelles questions poser. Mais nous qui l'avons, nous voudrions les lui souffler, dans cette arrogance qui nous est conférée par le temps passé. Par exemple, le geste de Morgan tient-il de la prise de position féministe ou figure-t-il la résignation vis-à-vis des étroits critères de beauté d'alors ? Reprend-elle vraiment son bonheur en main ou s'objectifie-t-elle pour s'en donner l'illusion ?
Le miroir à deux faces, c'est donc son visage. Ses facettes, ce sont l'acceptation de soi (personnelle) et l'image qu'on donne au monde (sociale). J'ai l'impression en l'écrivant que je fais preuve d'une anachronie navrante, et peut-être est-ce en partie le cas. Mais 1958, c'est tôt pour questionner de cette façon les apparences et l'agonie de l'amour courtois.
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