Avec Chinatown, Polanski s'offrait ce qui reste peut-être comme son plus grand succès. La réussite a ici le visage d'un polar noir, archétypal mais qui se démarque pourtant par sa qualité et la veine pessimiste du réalisateur, qu'il arrive à tracer même dans un genre où la joie de vivre ne transpire pas nécessairement, pour faire dans la litote. La caméra du franco-polonais, classique mais ingénieuse, s'applique à fouiller tous les recoins de ce Los Angeles dans son incoercible ascension, tout en suggérant très bien l'invisible, et à travers le non-dit et le caché. On circule donc dans une intrigue retorse aussi paumé que Jack Nickolson, qui malgré sa ténacité et sa compétence ne parvient pas à démêler un sac de nœuds solidement noués. L'immersion est donc réussie et maintient l’œil attentif, pendant que le cerveau est quant à lui occupé par une enquête qui semble n'avoir jamais de fin. C'est de là que le scénario tire sa force ; les découvertes s’enchaînent avec dynamisme et une réussite parfois inattendue, mais elles ne font au final qu'éclairer un nouveau labyrinthe duquel il faut s'extirper. On se croit alors piégé dans ce Monde où intrigants et malhonnêtes semblent toujours davantage pulluler. D'autant que semble se rapprocher, par des allusions de plus en plus appuyées, Chinatown, lieu d'une ancienne désillusion pour le détective Jack Gittes, preuve qu'en quelque lieu qu'on cherche, la cupidité se terre, cachée peut-être, souveraine toujours. C'est donc bel et bien dans ce lieu symbolique que prend fin l'intrigue, dans une scène à l'ironie glacée et à la finesse imparable, plus tranchante qu'une lame de scalpel. La fin d'un numéro de Jack Nickolson, impressionnant de ténacité, d'impertinence et de charisme. Oscar du meilleur scénario original, un polar travaillé et abouti. L'époque du meilleur Polanski, sans le moindre doute.