‘’Burning’’ est l’adaptation de la nouvelle ‘’Les Granges brûlées’’ de l’écrivain japonais Haruki Murakami (elle-même inspirée de la nouvelle ‘’L’incendiaire’’ de Faulkner). Réalisé par le sud-coréen Lee Chang-dong (metteur-en-scène du superbe ‘’Oasis’’ en 2002), ‘’Burning’’ a été acclamé par les journalistes français comme étrangers au festival de Cannes. Et si ces derniers lui ont décerné le prix FIPRECI, le film de Lee Chang-dong fut oublié au palmarès ‘’officiel’’. Cet oubli fut d’ailleurs rudement blâmé par l’ensemble des critiques cinématographiques. En l’état, il est vrai que ‘’Burning’’ avait largement sa place au palmarès et aurait pu facilement avoir n’importe quel prix. Toutefois, l’oubli peut s’expliquer : ‘’Burning’’ est en effet un film très désarçonnant, et qui n’est pas des plus accessible.
Jongsu (Yoo Ah-in) est un jeune écrivain en devenir. Il retrouve par hasard Haemi (Jeon Jong-seo), une ancienne camarade de classe qu’il trouvait à l’époque ‘’trop moche’’. Ayant bien changé, Haemi séduit vite Jongsu avant de partir en Afrique. De retour en Corée, Haemi présente à Jongsu son nouvel ami Ben, une sorte de Gatsby coréen qu’elle a rencontré lors de son voyage. Se noue alors entre les trois protagonistes une étrange relation… jusqu’à ce qu’Haemi disparaisse…
Que les membres du Jury soient passés à côté du film ne surprend guère. ‘’Burning’’ est une œuvre éminemment singulière. C’est un film empreint de mystères, volontairement flou, prêt à déconcerter le spectateur. ‘’Burning’’ est un film à combustion lente : un film qui, au contraire de certains œuvres primés à Cannes en 2018 (style ‘’Dogman’’ ou ‘’BlacKkKlansman’’) n’est pas immédiatement prévisible, attendu et même perceptible. Malgré son rythme (parfois trop) lent, le film de Lee Chang-dong fait preuve d’une incroyable capacité à se renouveler et est en constante mouvance. Si Jongsu ne semble pas au début du film un mystère, ce n’est pas le cas de Haemi. Etait-elle vraiment sa camarade de classe ? Comment se fait-il que Jongsu n’en est pas le moindre souvenir ? Haemi prétend avoir un chat : elle demande à Jongsu de le nourrir pendant son voyage. Et si Jongsu s’exécute, si les croquettes disparaissent chaque jour, Jongsu se pose la question. Le chat en question existe-t-il bel et bien ? En effet, Jongsu ne verra jamais le chat : pourtant le studio de Haemi est si petit… L’intrigante relation entre Jongsu et Haemi aurait déjà pu constituer un film à elle-seule. C’est alors qu’Haemi revient avec Ben un riche Coréen qui roule en Porche. Avec ce troisième protagoniste, le film connaît une première évolution. Là encore, les mystères s’épaississent : quelle est la nature des rapports entre ces trois personnes ? Sommes-nous devant un triangle amoureux ? Au contraire, Jongsu avec sa camionnette pourri jalouse-t-il Ben ? Et puis, la troisième évolution arrive, quand Haemi disparaît. Est-elle parti en voyage sans prévenir personne ?
Ben serait-il responsable de sa disparition ?
Le film est incontestablement d’une grande richesse. Une richesse constituée de mystères, de mensonges (
par exemple, Ben prétend avoir brûlé une serre près de l’endroit où vit Jongsu, or Jongsu a fait attention à toutes les serres aux alentours
). C’est à Jongsu et au spectateur de démêler le vrai du faux. Car Haemi et Ben, beaux et intelligents, sont comme deux énigmes qui fascinent Jongsu. Un critique a dit que le film était un thriller qui n’en avait pas l’air. La remarque est plutôt judicieuse : le film n’a ni le rythme, ni les codes, ni l’ambiance du thriller. En revanche, ‘’Burning’’ est bien comme les thrillers un puzzle cinématographique où l’on vient à douter de tout. Y compris de notre héros. Car si Haemi et Ben sont, dès leur apparition sources de mystères et de fascination, le spectateur arrivera aussi à se poser des questions sur la personnalité de Jongsu. Tout cet univers qui semble si étrange (un chat invisible, une femme qui disparaît sans crier gare, un puits dont on ignore l’existence) ne serait-il pas le fruit de l’imagination déréglée de l’écrivain Jongsu ?
Il est vrai que Lee Chang-dong prend un peu trop plaisir à multiplier les conjectures sans apporter de réponses. Cela pourra passer pour du spoil, mais il faut savoir que toutes les questions qui ont été posées ci-dessus ne trouveront pas de réponses. C’est le pied de nez fait au genre du thriller : un thriller traditionnel apporterait normalement des réponses. Pas ici. On est à la fois happé par le mystère (enfin une œuvre qui a plusieurs sens de lecture, pas comme les films primés à Cannes en 2018 que sont ‘’BlacKkKlansman’’ et ‘’Dogman’’,) et en même temps frustré de ne pas avoir un semblant de réponse. Toutefois, il y a une chose qui est clair avec le film : son sujet principal. ‘’Burning’’ est obsédé par les notions de disparition. Quand on demande à Haemi ce qu’elle voudrait faire, elle répond qu’elle voudrait disparaître. Ce qu’elle fera. ‘’Elle s’est évaporée comme de la fumée’’ commentera d’ailleurs Ben. Mais Haemi n’est pas le seul élément lié à la notion d’évanouissement. Dans ce film rempli de hors-champs, tout semble capable de se volatiliser : que ce soit le chat,
les serres que brûlent Ben ‘’par amusement’’
, les souvenirs (les témoignages se contredisent autour de l’existence du puits)… Ces disparitions traduisent le profond malaise qui semble habiter la jeunesse coréenne décrite par Lee Chang-dong. Une jeunesse qui se cherche mais ne se trouve pas. Ceci s’applique pour les trois protagonistes du film : pour Jongsu qui n’écrit rien et ignore de quoi sera fait son futur, pour Haemi qui avant de disparaître recherche un sens à sa vie en assistant à d’étranges rituels en Afrique, et pour Ben qui vit dans une sorte d’ennui perpétuel malgré son confortable train de vie. Une jeunesse qui hélas ne se brûlera pas seulement les doigts dans cette histoire.
‘’Burning’’, bien que d’accès difficile semble bien marcher au box-office français (avec ‘’Mademoiselle’’ et ‘’Dernier train pour Busan’’, ‘’Burning’’ est l’un des plus gros succès coréen en France). On ne peut que sans réjouir et féliciter Lee Chang-dong d’avoir réalisé une œuvre rempli de secrets, de hors champs et de mensonges (et aussi de longueurs...). Et si les disparitions et l’invisible sont de mises, le film lui n’est vraiment pas prêt de disparaître de nos esprits.