Le bruit de la rue sur fond d’écran noir. Et soudain, c’est la rue en Corée du Sud. Si la ville est dense avec ses avenues bruyantes, ses panneaux de publicité qui infestent les murs, la campagne n’est pas loin, avec en bruit continu, la propagande de la Corée du Nord, crachée par des micros immenses. « Burning » est le récit de mondes qui s’opposent dans cette Corée énigmatique et poétique, et tentent de se rencontrer, avec en ligne de mire, un étrange trio amoureux, Jongsu, le jeune coursier, l’insouciante Haemi, et le riche Ben. On connaît le cinéma coréen pour son adulation des films fantastiques et sanguinolents. Ici, le point de vue principal est de mélanger les genres, brouiller les pistes, éparpiller les évènements. Les personnages principaux deviennent presque des fantômes à eux-mêmes, ce que renforce d’ailleurs la disparition de la jeune Haemi, et, à la façon d’un David Lynch, le réalisateur du très beau Poetry dissimule la vérité et le réel dans une interrogation constante de la temporalité et des lieux.
« Burning » ne cherche pas à être un film social. Et pourtant, la lutte pour exister à travers sa classe d’appartenance, ne cesse d’occuper l’écran. On a d’un côté, le jeune fils d’agriculteur, pauvre, qui écrit autant qu’il traverse sa vie, de l’autre côté, on a l’homme des villes, séduisant, manipulateur, fortuné, et qui pourtant s’ennuie au cœur de son univers feutré. Au milieu, il y a cette jeune-fille, presque sauvage, qui prend le parti-pris de la liberté et de l’intégrité du corps et de l’esprit, pour donner un sens à une existence qui pourrait se réduire à des dettes, une forme de prostitution, des mensonges et de l’insouciance. Le film retrace le portrait d’une jeunesse désabusée où le feu des serres en l’occurrence, constitue une sorte d’appel au bonheur et à la vie. Le drame est profondément universel, au sens qu’il raconte la difficulté de chacun à trouver une ligne de vie stable, véritable. Car les personnages se mentent à eux-mêmes en permanence. Ils évitent d’aborder le réel de leur existence, à la façon de ces milliers de jeunes qui se complaisent dans les univers parallèles de leurs jeux vidéo ou des réseaux sociaux.
On saluera une photographie absolument magnifique. A cela s’ajoute une mise en scène précise, sensuelle, proche de la perfection. La musique elle-même, entre le jazz et le rythme feutré et délicat des percussions, illumine un récit poétique et fascinant.