Western, tragédie grecque, fresque familiale, fable moderne ou œuvre anthropologique, inscrire "Les Oiseaux de passage" dans un genre précis n'est pas aisé. Mais quel que soit le domaine dans lequel joue le réalisateurs Ciro Guerra, déjà connu point son mystique « L’Étreinte du serpent », difficile de nier l'extraordinaire puissance d'un film unique et pénétrant, qui frôle le chef d'œuvre.
Puissant, le film l'est d'abord par ses airs de tragédie grecque. Le spectateur verra en effet se succéder, deux heures durant, trois "chants". Trois actes qui se déploient magistralement dans une tension presque insoutenable, trois actes qui rythment la lente descente aux enfers annoncée dès les premières secondes. Trois chants qui empruntent aux épopées homériques la sublime violence des affrontements guerriers et le thème des querelles de clans, mais font également partie d'un dispositif qui rappelle fortement celui de la tragédie classique. Car dès les premiers instants (la danse d'une jeune fille avec son prétendant Rapayet), c'est une implacable et funeste mécanique qui se met en place. Et face à la force obstinée de la fatalité, aucun personnage ne peut lutter. La chute est inévitable, et le film sera le récit magnifique d'une catabase éprouvante et mystique.
Mais « Les Oiseaux de passage » doit aussi sa puissance à son esthétisme certain. Devant les yeux d'un spectateur plongé sans ménagement dans une infernale spirale de violence, se succèdent des images au caractère pictural marqué, des scènes qui rappellent par leur troublante étrangeté les univers de Dalí, des plans magnifiques sur cette maison moderne perdue dans l'aridité du désert colombien ou des instants d’onirisme et de mystère quand il s’agit d’interpréter les rêves des personnages, à l’aube du dernier acte. Le travail sur les couleurs et l'ambiance sonore mériterait d'être dignement salué; on se contentera de dire qu'il ne fait que servir la beauté du récit et la force de l'immersion qui nous est proposée (ou imposée?) durant ce récit tragique.
Le film, enfin, marque par son intelligence.
Intelligence dans le traitement de son sujet : la naissance des cartels de la drogue dans la Colombie des années 1970. Car plutôt que de se concentrer sur une opposition stérile entre innocentes tribus indiennes et vilains capitalistes, le film évite tout manichéisme en donnant à voir, en plus de la cupidité des vendeurs de marijuana, les conséquences tragiques du respect aveugle des traditions tribales.
Intelligence également dans la manière dont est filmée l’ethnie Wayuu, entre respect des traditions, mysticisme et anthropologie.
Sur le papier, "Les Oiseaux de passage" est décrit comme un long-métrage retraçant l'émergence des cartels de la drogue en Colombie. En réalité, cette description n’est pas à même de rendre compte de l'ampleur de l'oeuvre. Car « Les Oiseaux de passage » est un film virtuose et magistral, tragique et puissant, intelligent et esthétique, une sublime catabase qui ne laissera personne indemne.