Don Siegel est un passionné de western, jusqu’à réutiliser ses codes dans le genre policier. Et il fallait une grosse tête d’affiche qu’il trouve de nouveau en Clint Eastwood, afin d’apporter le charisme nécessaire pour la compréhension d’une œuvre étouffante. La fatalité de l’homme est à l’étude, d’où l’adaptation du roman de Thomas Cullinan qui s’inspire lui-même d’un récit grec. L’homme et plus encore la femme, peuvent se montrer fourbes, manipulateurs et violents. On y trouve autant de sentiments qui se révèlent être les réelles sources du conflit.
La guerre de Sécession part de l’esclavage, où le Nord tente de l’abolir et le Sud de le préserver. A l’image d’un conflit qui commence à s’éterniser, des troupes de chaque camp deviennent incontrôlables et dévient de leur devoir, fautes à des pulsions sexuelles qui se réveillent. On pourrait en dire autant des femmes, bien entendu. Et lorsque le caporal John McBurney (Clint Eastwood) de l’Union fait soudain irruption dans un pensionnat de femmes sudistes d’âges différents, la sournoiserie derrière les mots peuvent commencer à éclore. Ce stratagème est le reflet d’une infiltration en territoire ennemi, donc hostile. Nul besoin de se familiariser aux champs de batailles, où gicle le sang et la terreur pour comprendre que la guerre est également intérieure en soi.
Siegel propose alors une lecture audacieuse des vices liés à la sexualité. Les images montrées à l’écran attestent une forme de révolution, tout comme l’intrigue qui traite de l’humain, esclave de ses sentiments. Inceste, pédophilie, manage à trois, etc. Ces termes ont de quoi faire douter à l’époque. Et aujourd’hui encore, on se questionne sur cette histoire de consentement. Dans le récit, McBurney est un séducteur qui ose, ce qui sème ambiguïté et jalousie chez la horde qui l’accueille. A tour de rôle, il capte les faiblesses des filles et femmes qui, malgré les règles sociétales fixées, reconnaissent peu à peu un moment d’égarement. Mais la bêtise humaine retombe toujours sur son expéditeur, jusqu’à ce qu’ombre et poussière viennent hanter ces derniers jours.
C’est à ce moment que la controverse apparait. Victime d’une « castration symbolique », John passe instinctivement du rôle de prédateur à proie. La figure de la femme rebondit alors pour laisser l’image délicieusement perverse et affective derrière elle. On le sent à la vue d’un huis clos en position et d’un cadrage qui resserre l’étau sur le soldat, désarmé de tout part. Il y a tant de symbolisme qui font appel à la folie et la raison. D’un simple regard, d’un simple message d’amour, on se laisse manipuler à l’image de chaque protagoniste pour qui nous avons eu le temps de nous y acclimater et attacher. On ne peut en vouloir aux personnages d’éprouver des sentiments, mais lorsque les choses se compliquent, on ne peut plus adhérer à cette cruelle mascarade qui dépeint la brutalité et la faille de l’Homme…
« Les Proies » de Don Siegel est un thriller psychologique particulièrement vicieux et sensuel. Il porte en partie la carrière d’Eastwood et met en avant ce que l’envie engendre, si l’on s’approche trop de la flamme. L’acteur signe là son premier rôle antipathique qui vaut le détour. S’il fallait résumer le tout en un mot, « possession » serait adapté. Que ce soit le cœur d’un homme ou d’une femme, ils convergent tous vers le même désir. Ce même désir peut tourner à l’obsession, l’obsession à la jalousie, la jalousie à la haine et la haine mène à la « souffrance ».