Orange Mécanique est une fable construite en trois mouvements. Le premier décrit les exactions commis par Alex, un adolescent qui vit avec ses parents ouvriers dans une banlieue résidentielle à l’abandon. A la tête d’une bande de délinquants nocturnes, Alex n’obéit qu’à une seule règle: la sienne. Dissimulé derrière un masque, il tabasse, viole et pille, semant la terreur sur son passage afin d’assouvir son besoin d’ultra violence. Trahi par sa bande qui souffre sérieusement de sa tyrannie permanente, Alex se fait enfin arrêter par la police pour meurtre. Dans le deuxième mouvement, nous suivons l’adolescent dans son séjour carcéral où, afin d’alléger sa peine, il accepte de subir un traitement expérimental visant à éliminer toutes les pulsions violentes et sexuelles de son psychisme. Désormais libre et inoffensif dans le troisième mouvement, Alex, qui se retrouve à la rue, devient la proie sans défense de ses anciennes victimes jusqu’à servir de moyen à une tentative de renversement politique orchestrée par un groupe de dissidents.
Ce qui choque vraiment dans Orange Mécanique, c’est la vision d’une société qui se révèle au final encore plus amorale que le héros. Car, si ce dernier y est décrit initialement comme une sorte de barbare, il représente pour Kubrick l’être humain à l’état brut, c'est-à-dire encore non conditionné pour vivre en société. Ainsi, les braves citoyens brimés par Alex paraissent socialement bien plus castrés que libres, donnant une vision pathétique de l’homme moderne, à genoux devant un pouvoir qui n’est là que pour le contrôler à défaut d’assurer sa protection. On ne trouve aucun idéalisme dans Orange Mécanique. Les policiers sont d’anciens délinquants, les agents des services sociaux sont aigris, les membres de l’élite côtoient les criminels dans des bars huppés et les politiques sont représentés comme manipulateurs, du Ministre, soucieux de l’opinion publique qui le maintiendra à sa place, à son ennemi du parti adverse, l’Ecrivain, dont l’aide apportée à celui qui a violé sa femme ne relève que d’un machiavélique calcul. Alex n’est que le produit génant de cette société démissionnaire qui préfère transformer radicalement l’individu au lieu de se remettre en question.
L’esthétisme d’Orange Mécanique est l’un des plus singuliers de l’histoire du cinéma bien que les années passantes peuvent le faire apparaître désormais comme excessivement kitch. Pourtant, rarement un film d’anticipation n’aura été si juste dans son analyse de la société, l’œuvre subversive de Stanley Kubrick restant un miroir déformant qui reflète de manière cynique et terrifiante le monde dans lequel nous vivons actuellement.