Lettre ouverte à Luc Besson
Tout d’abord je tiens à vous montrer mon plus profond respect.
Je suis de la génération Grand Bleu, c’est à dire ceux qui avaient environ 18 ans et toute leur vie devant eux quand est sorti le film. Je suis aussi de ceux qui font fi des critiques et voient dans Nikita un grand moment de cinéma et plus particulièrement d’image au sens large. J’ai suivi votre dernier Combat, j’ai pris le métro en 205 GTI, je suis tour à tour Bob, Léon ou Zorg et je saurais même me travestir en Mathilda ou Leeloo…
Je suis aussi spectateur. J’ai été Samurai devant ma télé, chauffeur de Taxi à Marseille, transporteur ou tueur pour ma famille et sauver ma fille. Vous avez su alterner entre la réalisation et la production, créer en France un outil à l’américaine, une école de cinéma, vous savez faire rêver et faire vivre pour votre passion.
Mes enfants portent d’ailleurs consciemment ou inconsciemment des prénoms liés à votre univers.
Mais je peux aussi être déçu. Déçu quand je ne suis pas touché, que je n’ai pas compris ou que je n’ai pas vécu ces fameux moments d’images comme vous savez les créer.
C’est avec Jeanne d’Arc que j’ai vécu ma première grande déception. Ce film est vide d’histoire, n’a pas de parti pris, met en scène une actrice qui tente d’incarner un rôle quand d’habitude vous savez créer le rôle et son univers. Vous qui savez si bien sortir les tripes d’une actrice pour incarner un personnage, là on se prend à attendre sa mise au bucher pour abréger le carnage.
Le film Lucy m’a aussi déçu. Non pas par l’histoire, parce qu’elle pourrait donner lieu à un bon développement, mais par la réalisation et là encore un personnage peu charismatique et un surf entre la volonté d’assurer l’histoire, peut-être en la simplifiant trop pour plaire au plus grand nombre. Il n’y a alors plus de film d’auteur et plus d’assurance de succès…
Mais alors que dire de Valérian… Quel travail pour en arriver là. Le film en lui même est bien moins mauvais que tout ce qui a été écrit dessus, son problème est avant tout l’histoire. Une BD déjà démodée dans mon enfance, des mondes finalement sans réelle création, un exercice cinématographique pauvre à l’heure du développement de lignes scénaristiques complexes sous forme de séries. Trop d’attentes par rapport à l’originalité du cinquième élément pour des spectateurs abreuvés de Star Trek ou épuisés aux itérations ratées de l’univers Star Wars.
J’en arrive à Anna et à ma dernière déception en date. Je ne comprends pas…
Je ne comprends pas comment aujourd’hui, près de 30 ans après la guerre froide, à l’heure ou la série The Americans a su montrer du « gris » à notre vision de la période, à l’heure ou James Bond s’est écarté de l’anti communisme primaire, à l’heure du travail documentaire pour illustrer les années 80 dans tant de séries géniales ou de films intéressants ou drôles, je ne comprends pas comment on peut sortir un film qui se sert de l’histoire comme d’un prétexte pour un rendu finalement si décalé…
Je ressors du fim énervé.
Vous qui savez si bien mettre en scène un rôle féminin, qui est le personnage qui s’agite pendant 2h ? Cette succession de décalages temporels suffit-elle à définir la matriochka qui serait le sujet ? Où est la souffrance du personnage qui définit sa conduite actuelle ? Où sont les moments de cinéma qui traduisent la prise de conscience, la partie d’échecs ou le retournement de situation ? Où sont ces scènes que vous savez si bien réaliser qui campent une Mathilda hyper mature dans un escalier lugubre ou qui esquissent un sourire aux lèvres d’une Nikita guidée par une Jeanne Moreau sans échafaud ? Où sont les moments de détresse d’une Johanna qui comprend qu’elle n’aura jamais Jacques ou d’un Léon qui se sacrifie. Ils sont où ces personnages que vous savez si bien décrire, en peu d’image, en plaçant votre caméra comme il le faut, comme vous savez le faire en les poussant dans leurs retranchements ? Où sont ces personnages surréalistes et sur-joués comme Zap ou Zorg ?
Et pourquoi ces références à Nikita ?
Bob parlant de l’allée du cimetière c’était original, subtil et décalé. La même scène pour décrire à Anna son appartement c’est du réchauffé, ce n’est pas drôle. L’issue du premier meurtre est loin de valoir le dénouement de la mission au Train Bleu d’une Nikita débraillée criant « elle était murée la fenêtre! » à un Bob qui lui répondait « je sais ». Elle n’a pas de force, pas de prise sur le téléspectateur, elle glisse comme une anguille, sans même une justification. Même Taken montre plus de conviction dans l’action et le dénouement.
Et pourquoi ces clichés ? Pourquoi ces deux Bobs même pas développés pour lesquels on n’a aucune empathie ? Cette ébauche de relation lesbienne sans conviction ? Le peu de développements sur cette « M" à la russe, seul personnage un peu complexe qui méritait d’être fouillé.
Je terminerai par la musique. Vous qui avez su marier l’image et le son et faire autant de symphonies audio visuelles avec Eric Serra, que se passe-t-il aujourd’hui ?
La musique est ratée, sans force, sans rapport à l’image.
Vous manque-t-il du soutien à vos côté ?
Monsieur Besson, votre public est là, il vous attend, faites du Besson et pas du film pour la masse. La masse sera là pour vous soutenir quand vous leur présenterez une histoire comme personne ne l’a réalisée, quand vos personnages seront développés avec leurs forces, faiblesses et contradictions, quand on sortira de la salle avec l’envie d’y retourner et d’acheter le CD, le DVD le Bluray et de faire découvrir l’oeuvre à ses enfants. Ne cherchez pas à faire « True Lies », faites « La Totale » à la Besson et puis alors faites aussi « True Lies » tant qu’à faire. Soyez Français et citoyen du monde, américain aussi si vous le voulez, mais soyez tout ce qui fait votre force : le français qui sait faire un film grand public et grand spectacle comme un film d’auteur…