Tout comme il fait aujourd'hui mauvais genre de défendre Luc Besson en société, il est en vogue de le conspuer généreusement, à tord ou à raison, et la sortie de ses films reste, chaque année dédiée, un événement national (pour ne pas dire international) : alors qu'il tombe en pleine disgrâce (sa société Europacorp s'écroule en même temps que sa réputation, entichée d'affaires sordides), il faut reconnaître que nous adorons détester un cinéma qui, paradoxalement, a ouvert la voie à la passion de nombreux cinéphiles (moi le premier).
C'est une question de génération : de ses films des années 90, on retient le jeune réalisateur français bourré d'influences de films de genres cultes de nationalité américaine (pour la plupart), et son talent l'ayant (majoritairement) quitté au tournant des années 2000, le mouvement de respect national s'est changé, au fil des déceptions en salles, en rejet déçu puis en moquerie grossière (il semblerait que beaucoup aient découvert, entre temps, que Besson était à l'origine de la saga Taxi).
S'il était nécessaire de lui tenir rigueur d'Arthur et les Minimoys, Malavita et Lucy, la sortie d'Anna, signée comme un retour aux sources, pouvait laisser présager au public un divertissement honorable. Omettons son titre (Besson est surement un passionné de calendrier international) : Anna, qui commence de manière paresseuse, pose ses pions avec soin et développe une intrigue consistante et convenable, qu'on croirait, au départ, insipide et brouillonne.
Si ses inévitables flashbacks, très présents, surprennent de prime abord, c'est qu'on n'a pas encore pris la mesure du rythme, qu'on attend encore une intrigue linéaire : pourtant simple, cette dernière s'axe astucieusement sur des différences de point de vue de plusieurs scènes avec des détails supplémentaires essentiels à leur bonne compréhension, offrant au scénariste/réalisateur la possibilité de proposer un divertissement ficelé comme aucun autre de ses films.
On pense, en le voyant, à un drôle de mélange bâtard entre Nikita et les cinémas de Tarantino et Guy Ritchie; à première vue dérangeant, ce drôle de mixe va même jusqu'à côtoyer la patte inimitable du dynamique Matthew Vaughn au travers d'une scène de combat iconique dans un décors de restaurant géré avec grande maîtrise par son réalisateur expérimenté. On songe directement à la scène de l'église de Kingsman, sans pour autant la trouver du même niveau.
Il n'empêche que Besson, reprenant tous les codes du film d'espionnage, ne tombe pas pour autant dans l'action perpétuelle; choix risqué quand on sait que les séquences les mieux maîtrisées sont justement ces combats ultra-violents et stylisés, mais respectable aux vues du remplissage à base d'explosions de ses dernières productions qui n'avaient pas grand chose à proposer.
On ne peut cependant s'empêcher de relever un certain goût fade à l'arrivée du générique de fin : s'il s'inspire avec justesse du style de Ritchie pour le coupler efficacement avec sa propre manière de narrer les histoires, Besson, en évitant tout manichéisme (c'est en ce sens une leçon lancée aux films grand public actuels), n'en profite pas non plus pour développer les expériences amoureuses de son personnage principal, interprété de façon charismatique mais trop monolithique par la nouvelle Sasha Luss (un mannequin qui parvient à camper avec crédibilité son rôle de tueuse invulnérable).
Du trio de ceux qui l'aiment, on ne retient finalement pas grand chose d'autre que les scènes d'amour qu'ils partagent avec : que la fragile et jolie Lera Abova, interprète de Maud, passe à la trappe n'est pas forcément le pus gênant, du fait qu'elle n'est pas une actrice célèbre censée camper un rôle essentiel. Se rendre compte, par contre, que les très Luke Evans et Cillian Murphy écopent d'un rôle secondaire sans grande incidence ni profondeur gêne dans le sens où l'on ne peut accepter, dans une oeuvre dans laquelle ils incarnent les rôles principaux, que des personnages à ce point essentiels soient passés sous le coude.
Considérant que cela entre dans une certaine logique de surpassement de l'homme par la femme (Anna est de toute évidence un film pseudo féministe comme en trouve des dizaines dans sa critique sociale), leur laisser un si grand temps de présence à l'écran empêche toute défense : on ne peut laisser deux personnages aussi importants à ce point inutiles et inconséquents, pas si l'on n'a pas été capable de démontrer le machiavélisme de son personnage principal féminin.
Ce machiavélisme, montré sans qu'on n'y croit jamais (le passage de femme faible, battue à machine à tuer increvable est trop abrupt et peu développé pour qu'on y croit tout du long), transforme cette beauté en manipulatrice des sentiments : femme qui sait se battre, Anna aura compris que la première victoire sur ses adversaires se passe plus efficacement dans un lit.
En ce sens intéressant d'un point de vue politique, Anna a la décence de ne pas balancer un film féministe avec une héroïne qui a finalement toutes les caractéristiques d'un héro; il défend dans un rythme haletant l'idée selon laquelle la femme peut, en se servant de ses atouts et de son intelligence, dépasser des hommes tout aussi manipulateurs et dangereux. Si l'idée peut-être douteuse, Besson est parvenu à bien l'aborder sans pour autant tomber dans le perpétuel mépris du sexe masculin lorsqu'on tente de mettre le féminin en avant.
Les deux cohabitent avec une certaine supériorité de la femme, qui régit le destin de ses personnages et change les rapports politiques internationaux dans un montage un poil bordélique mais suffisamment précis pour rendre justice à ses multiples révélations un poil erronées, mais toujours bien montrées. Sympathique mais pas impérissable, à l'image du cinéma actuel de Luc Besson.