Je n’étais pas emballée à l’idée d’aller voir ce film : du théâtre filmé, un groupe d’amis bien friqués qui jouent à un jeu (débile) et une bande annonce qui laissait présager le pire en termes de vaudeville : les infidélités, les portes qui claquent et les quiproquos ! Et puis, je me suis laissé convaincre, et au final je ne regrette pas cette séance dominicale. Fred Cavayé, derrière la caméra, moi je le connais essentiellement pour ses polars plus que pour ses comédies et je sais qu’il a une obsession : le rythme. « Le Jeu » dure 1h30 et c’est pile la bonne durée, parce que le film est très ramassé, sans temps mort et sans baisse d’intensité. Comme c’est du théâtre filmé, une sorte d’huis-clos, c’est forcément très écrit, avec des dialogues pointus. Mais il y a aussi des silences (qui en dise long) et des moments plus lourds, plus douloureux. On ne passe pas son temps, avec « Le Jeu », à s’esclaffer ou à essayer de deviner qui cache quel secret, on prend aussi le temps d’effleurer des thèmes (un peu) plus lourds : l’acceptation de la différence, l’estime de soi, la notion de consentement aussi entre homme et femme. Musique discrète, montage dynamique et surtout
une pirouette scénaristique de fin bien vue, qu’on ne comprend pas d’emblée mais qui sonne juste. Pas de happy end, pas de drame non plus, la fin du film de Fred Cavayé laisse le spectateur un peu « en plan » mais c’est exactement la fin qu’il fallait.
Les rebondissements du scénario, certains sont attendus, vus et revus et même un peu éculés, d’autres beaucoup moins. On se laisse surprendre par ce groupe d’amis a priori sympathiques, dont le destin bascule parce qu’ils ont accepté de jouer à un jeu idiot. On peut penser « Smoking - No Smoking » d’Alain Resnais, où une décision en apparence anodine (fumer pour Resnais, jouer à un jeu entre amis ici) fait basculer le destin de tout un groupe de personne. Dans « Le Jeu », il y a une dimension supplémentaire qui sous-tend tout le scénario : le secret. Certains sont réticents à jouer, et l’on devine vite pourquoi derrière leurs arguments philosophique de « protection de la vie privée » (tu parles…), mais ils sont faits comme des rats par le piège de la transparence « Pourquoi tu ne veux pas jouer si tu n’as rien à cacher ? » A partir de là, les mâchoires se referment inévitablement sur les proies consentantes qu’ils sont devenus. La transparence, c’est à la mode : en couple, entre amis et même au-delà, dans la sphère publique, mais c’est un leurre et le film le démontre assez bien. Si l’on savait tout des gens qui nous entourent, la vie en société deviendrait impossible, la vie en couple deviendrait impossible. Le téléphone portable, comme prolongement de soi, était l’instrument parfait pour la démonstration, celui de la communication, et parfois de la non-communication. Dans le monde moderne, il n’y a rien de plus personnel qu’un téléphone portable, qui est le réceptacle de toute notre relation à l’autre. C’est dire si l’idée de ce jeu est dangereuse en plus d’être idiote, car la transparence absolue ne peut finir que dans le drame. De la galerie de personnages qui compose le scénario du film de Fred Cavayé, certains sont plus écrits que d’autres, certains sont plus touchants ou exaspérant que d’autres
(devinez dans quelle catégorie se situe le personnage de Vincent Elbaz ? L’exaspérant bien-sur, comme d’habitude serais-je tentée de dire…),
mais tous sont parfaitement incarnés par des comédiens très pointus, impliquée et crédibles. Vincent Elbaz et Dora Thillier incarnent un couple moderne en apparence très amoureux mais on sent que lui a eu du mal à se caser et c’est de ce côté-là qu’il faudrait gratter. Marco et Charlotte, respectivement Roschdy Zem et Suzanne Clément, traversent une crise, visiblement ils ne s’aiment plus vraiment mais ne se l’avoue pas et se jouent la comédie. Vincent (Stéphane de Groodt) et Marie (Bérénice Bejo) semblent heureux, mais l’éducation de leur adolescente met leur couple à rude épreuve. Et puis il y a Ben, formidable Gregory Gadebois (c’est un pléonasme), qui aurait du venir accompagner mais finalement, il est seul et ça fait causer. On sent que, dans ce groupe d’amis, c’est lui le « maillon faible », celui qui servait un peu de souffre douleur, celui qui est surpoids (et on le lui fait remarquer, comme s’il ne le savait pas), celui qui est au chômage aussi, celui que l’on regarde finalement avec un peu de pitié. Ben, c’est le personnage le plus droit et finalement le plus touchant du groupe, celui avec lequel on se sent immédiatement en empathie, de qui on se sent proche même. Il ne paye pas de mine, dans son coin, mais si un jour le groupe d’amis n’explose pas en vol, ce sera surement en grande partie grâce à lui, et personne ne s’en rend compte. Son personnage n’est pas ultra original mais, grâce à son interprète, il est essentiel. Pour apprécier « Le Jeu », il faut aimer se laisser emporter les dialogues, par le côté théâtral de cette soirée, par un humour à plusieurs niveaux. On rit beaucoup, on est émus aussi, et l’on se dit, après la séance, qu’il faut absolument mettre un code d’accès à son portable si ce n’est pas déjà le cas, même quand on n’a « rien à cacher »…