Lorsque l’on chante un peu trop, on finit instinctivement par s’approprier une mélodie et des valeurs. Et quand on trouve la bonne harmonie, il n’y a plus qu’un geste ou un regard pour y projeter son âme, celle qui prend l’initiative de croire à la seule issue possible, la victoire. Arthur Harari (Diamant noir) rempile, avec son co-scénariste Vincent Poymiro, pour investir la surprenante aventure d’un « traînard » japonais, retranché dans la jungle de l’île de Lubang, aux Philippines. Loin du polar et de l’environnement d’Anvers, le cinéaste français se frotte à un désir obsessionnel, afin de rendre hommage à un homme, qui n’a eu pour seule directive de survivre, coûte que coûte. En l’abordant sous l’angle d’un film d’aventures, il retrace le parcours atypique d’Hirō Onoda, évoluant à contre-courant de sa mission, dès lors absurde, dès lors que la guerre s’est prématurément terminée.
C’est la première vertu narrative, qui apporte son lot de flashbacks et d’ellipses, tout en laissant croître cette fatalité ou cette malédiction, qui revisite les limites d’un soldat, soumis à une chaîne de commandement. Ce n’est ni le premier exemple, ni le dernier, cependant, il se dégage une grande force visuelle dans ce cousin éloignée d’Apocalypse Now. On passera du temps dans la boue, sous les pluies diluviennes et des bivouacs sur-mesure. Et l’on ponctue chaque nouvel élan patriotique d’Onoda avec des repères temporels, qui laisseront au spectateur évaluer le degré de démence qui pourrait l’habiter ou encore l’intensité avec laquelle il a troqué son humanité, malgré lui. En semant partout ce genre de graine, également dans les instants les plus fraternels, où les membres de son unité se réconfortent mutuellement, Harari capte sans peine leur loyauté et leurs maux les plus intimes.
Sur près de 30 ans de folie, il aura fallu deux interprètes pour illustrer une version plus fantaisiste du soldat. Yūya Endō incarne la jeunesse maladroite et trop influençable d’Onoda, ce qui en fait le parfait témoin d’un endoctrinement traumatique, mais donne également de belles leçons d’apprentissage aux côtés des siens. Quant à Kanji Tsuda, il traîne toute une charge émotionnelle, qui laisse transparaître un vide bouleversant chez le soldat de l’Empereur, toujours prêt à mourir pour sa nation, mais avec une contradiction qui refrène ses pulsions. Avec un esprit qui ne pense que par la guérilla, on finit par saisir le tourment qui le domine, mais jamais on ne se détachera de son regard. En parallèle, nous investissons sa psyché, aussi hostile qu’hasardeuse, car on lit aisément ses failles lorsqu’il n’a plus le contrôle sur la jungle et son environnement. Il erre comme un radeau sur l’océan, sans enjeux, ni objectifs concrets, car sa limite demeure sa croyance en cette fin de guerre.
Au détour d’un recul sur l’équilibre des forces mondiales, on se rend compte que son voyage mental reste alimenté par un seul ordre, mais également par le seul touché affectif qu’il semblerait avoir connu de sa vie d’adulte. Entre le devoir et le respect envers son supérieur, ou d’une autorité paternelle, le réalisateur parvient à émouvoir, à la fois dans un discours héroïque et tragique. Ces deux fonctions cohabitent dans la même hutte et dans un même corps, brisé par les épreuves et brisée par une solitude, qui l’a bercé depuis qu’il s’est engagé. « Onoda » est un électrochoc dans la sélection cannois, mais reste avant tout une démonstration de narration et de persévérance, rendue à ceux qui ne parviennent pas à lâcher leurs armes, au gré du réel et de la fiction.