Jean Renoir fut un réalisateur assez moyen du muet. Même en se cantonnant au cinéma français, aucun de ses films ne pouvait se comparer au « Napoléon » qu’Abel Gance réalisa en 1927, ni à « Au bonheur des dames » de Julien Duvivier (1930). Mais, contrairement à ce dernier, il frappa dès le début du sonore avec « La chienne ». Après le lourdingue « On purge bébé », exercice pour s’adapter au parlant, il réalise magistralement un deuxième film. Borné par le théâtre de marionnettes, où Guignol nous explique d’emblée que cette histoire concerne des gens comme vous et moi, Cette descente profonde dans le peu de grandeur et l’immense noirceur des pensées et comportement humains illustre un illusoire triangle amoureux entre le gentil peintre amateur mais talentueux, grand benêt aussi amoureux (Michel Simon) qu’il est laid, et la la prostituée (Janie Marèse), victime entichée d’un souteneur (Georges Flamant), mufle, brutal et sans scrupules. Ce trio s’accompagne d’une galerie de personnages sinistres. De la femme sans cœur (Magdeleine Bérubet) aux collègues de bureau cruels et ricaneurs, en passant par les marchands d’art qui ne pensent qu’à faire du fric, l’honnêteté et la morale de tout ce joli monde se sont depuis longtemps évaporées. L’énorme tour de force du cinéaste est de nous emmener vers une condamnation à mort qui satisfait notre soif de justice, en révélant par la même que nous ne valons pas mieux que ce petit monde qui, turpitude ultime, envoie à la guillotine un coupable pour un meurtre qu’il n’a pas commis. Et le rideau de tomber, permettant une mise en abime sans équivalent dans le cinéma de l’époque (Manckiewicz reprendra ce procédé dans « Le Limier » quarante ans plus tard). Ce fond « édifiant » est servi par une forme exceptionnelle et innovante où Theodor Sparkuhl filme en décors naturels, accompagné par une prise son sur le vif de Marcel Courmes, apportant pour la première fois à l’écran, avec les petits bruits variés de la rue, une profondeur sonore réaliste. Le ramage valant le plumage, la qualité des dialogues, qui deviendra une constante du cinéaste, est déjà évidente. Par contre, le casting est plus inégal. Au sommet un Michel Simon dont le rictus fut façonné par Renoir, Janie Marèse, imposée par la production, star en devenir mais qui décèdera dans un accident de la circulation quelques semaines plus tard, Georges Flamant gouailleur amis odieux et Roger Gaillard (l’adjudant), l’autre personnage sympathique du film. A l’opposé, Magdeleine Bérubet (l’épouse) en fait des tonnes, souvent a la limite du ridicule, comme les pesants collègues de Michel Simon au jeu stéréotypé et répétitif. Ainsi ce grand film, pas loin d’un chef d’œuvre, débute une nouvelle carrière pour celui qui, à mon sens, est un des plus grands cinéastes du vingtième siècle. Quant au remake « La rue rouge » de Fritz Lang, bien qu’également très bon, il souffre de la comparaison avec « La femme au portrait » réalisé deux ans plus tôt, également avec Edward G. Robinson.