La Galice (dont Oliver Laxe est originaire), au nord ouest de l'Espagne, est l’une des régions d’Europe les plus affectées par les incendies. Beaucoup sont causés par la foudre ou par des négligences diverses, mais dans la plupart des cas les incendies sont provoqués : c’est le feu qui échappe aux campagnards quand ils l’utilisent pour régénérer leur terre, le feu qui est utilisé comme arme de protestation politique, etc. Le metteur en scène explique :
"Les raisons sont diverses et tout le monde à sa part de responsabilité. La question du feu est devenue centrale. L’opinion publique cherche des coupables, elle veut du sang. Et bien évidemment la figure de l’incendiaire est l’une des plus diabolisées aujourd’hui. Je suis toujours interpellé lorsque la société ostracise un individu. J’ai fait un film sur un homme dont on sait, dès la deuxième séquence, qu’il a été condamné pour avoir provoqué un incendie. Était-il coupable ? S’est-il réconcilié avec le monde ou la nature ? Est-il profondément récidiviste ? Et s’il était en réalité innocent ? On peut se poser toutes ces questions tout au long du film. Mais en partageant le quotidien d’Amador, de Benedicta, sa mère, et de leurs animaux, en affrontant les rigueurs du climat lorsqu’ils mènent les vaches paître par monts et par vaux, en entendant ronronner le poêle alors que la pluie crépite sans discontinuer au-dessus de leurs têtes, on partage leur intimité. On parvient alors même à aimer Amador."
Avec Viendra le feu, Oliver Laxe a voulu faire un mélodrame sec : "En termes d’écriture, j’ai voulu déployer une psychologie ténue, réduite à l’os : cette âpreté émotionnelle des personnages est raccord avec l’austérité des décors. Ce sont des émotions endiguées, qui finissent par éclater avec le feu."
Comme il l'avait fait dans ses précédents films, c'est la rencontre avec de vraies personnes qui a donné envie à Oliver Laxe de les filmer et de les faire incarner ses personnages. Il explique au sujet d'Amador : "Il y a une vérité poignante dans le regard mélancolique et les épaules tombantes d’Amador. ll est beau, en même temps on sent qu’il souffre : il est à fleur de peau. Et le monde actuel est inapte à accueillir sa fragilité. Amador, qui joue Amador, a été garde forestier. Aujourd’hui, il s’occupe des animaux malades de la forêt. En espagnol, Amador signifie « celui qui aime ». J’ai conservé son véritable prénom pour mon personnage, un célibataire farouche des montagnes. Amador est celui qui aime et pourtant il est regardé par beaucoup comme celui qui détruit, mis à part ceux qui ne le jugent pas : sa mère et leurs animaux. Amador est une figure d’expiation, un innocent (comme Shakib dans Mimosas), un inadapté. La déraison du monde, la souffrance d’une nature malmenée trouvent en cet homme un exutoire."
Viendra le feu a été présenté dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2019.
L’eucalyptus est un arbre envahissant, considéré par certains Galiciens comme pernicieux et nuisible. Il assèche les terrains et croît au détriment des plantes indigènes. Le film s’ouvre sur une scène où d’énormes engins détruisent impitoyablement les eucalyptus les uns après les autres, comme s’il s’agissait de tondre un gazon. Oliver Laxe explique : "Mais ils tombent soudain en arrêt devant un eucalyptus centenaire, immense, sans doute figés par sa noblesse, entre respect et effroi. C’est la nature qui retourne leur regard aux hommes. Elle les renvoie à leur propre petitesse, les questionne. Viendra le feu montre les derniers vestiges d’un monde rural en voie de disparition. Cette séquence d’ouverture de l’eucalyptus et celle finale de l’incendie sont deux mêmes mouvements symphoniques incarnant une nature à l’agonie."
Viendra le feu comprend de nombreuses images impressionnantes d'incendie. Pour les filmer, Oliver Laxe et son équipe ont dû suivre un entraînement physique et théorique de pompier. Le metteur en scène se souvient : "On tourne un premier été avec une équipe technique restreinte, sans acteurs, pour faire des essais et comprendre ce que le film exige de nous. On ne sait pas si la pellicule (on tourne en Super 16) va se voiler à la chaleur, les objectifs fondre.... Si les pompiers vont nous laisser les accompagner. Quinze jours durant, on est à l’affût. On écoute sans cesse la radio : à la moindre alerte au feu, on suit les brigades, on filme. Petit à petit on gagne leur confiance et leur respect. Puis l’hiver arrive… on filme les âpres conditions de vie qui ouvrent la première partie du film. Les gestes sont lents, engourdis par le froid. L’été suivant, on était prêt à répéter l’expérience mais avec nos acteurs, deux jeunes pompiers qui font leur baptême de feu, les voisins qui essaient de protéger leurs maisons face aux flammes attendues... Mais 2018 a été l’un des étés les plus pluvieux de l’histoire de la Galice : très peu d’incendies donc. Quand les deux semaines de tournage arrivent à leur terme, soudain le feu apparaît."