Le cinéma de Marco Bellochio est souvent acclamé mais il est certain qu’il ne plaît pas à tout le monde. En témoigne « Vincere », l’un de ses films les plus salués, mais qui a plutôt irrité et fortement déplu à l’auteur de ses lignes. Ici, point de tergiversations, « Le Traître » fera date et c’est un excellent film, une pièce d’orfèvre même, qui traite son sujet de la meilleure des manières et passionne durant deux heures et trente minutes. Si l’on peut émettre des réserves, elles sont minces. Elles empêchent cependant ce film de mafia qui n’en demeure pas moins magistral d’accéder au statut de chef-d’œuvre immédiat. La première réserve est le nombre important de personnages traités, notamment dans le prologue les présentant. C’est trop rapide et/ou trop dense et cela nous perd et nous empêche de bien saisir l’ossature organisationnelle de la Cosa Nostra. Il vaut mieux essayer de s’en détacher pour profiter du film au mieux. Le second point négatif est la dernière demi-heure qui s’essouffle un peu dans le rythme comme dans ce qu’elle raconte. Un panneau indicatif de plus à la fin du film sur le sort de Buschetta ou une compilation synthétique de ce qui se déroule à la fin avec un montage plus resserré auraient davantage densifié « Le Traître » et l’aurait rendu encore plus puissant et limpide.
Ceci mis de côté, on est face à un gros morceau de cinéma de l’acabit du récent « Mafia inc. » et bien supérieur à l’interminable et opaque « The Irishman » du pourtant maître du genre, Martin Scorsese. Inconcevable que ce film présenté en compétition à Cannes cette année ait pu passer à côté d’un prix. Du point de vue de la mise en scène, Bellochio est encore bien en possession de tous ses moyens et n’a à rougir de personne. La manière dont il filme son histoire est en totale accord avec ce qu’elle raconte. Une image un peu vieillie qui donne une patine très eighties tout à fait à propos, un montage nerveux et surtout des plans dantesques et esthétiquement très travaillés comme ce plan final de fusillade dans un monastère abandonné ou la séquence rêvée de l’enterrement. Clairement, Bellochio n’est plus tout jeune mais sa réalisation a toujours vraiment de la gueule. Il y a même un côté à la fois baroque et pop dans les images qui fait vraiment mouche durant toute la durée de ce film.
Mais il n’y a pas que l’esthétique qui ravit les yeux, le propos était passionnant et il captive comme espéré bien qu’il ne soit pas forcément facile à transposer à l’écran ou à adapter. Le cinéaste s’en tire avec les honneurs, traitant tout un pan de la mythologie italienne, et plus précisément de la mafia, avec « Le Traître », comme si c’était LE film somme sur le sujet. Un film en deux parties, prolongeant certaines sous-intrigues, à la manière du « Carlos » de Assayas ou du Mesrine de Richet aurait peut-être même pu faire sens. Le script démythifie certains aspects de la mafia sicilienne et nous apprend pas mal de choses. Mais le summum du long-métrage et ce qui nous ravit le plus, ce sont toutes ces scènes grandioses de fusillades et de procès, de véritables fulgurances dans une œuvre qui en est une à elle seule. Les premières sont celles des assassinats, jouissives et parées d’une inventivité folle. A voir si elles se sont vraiment déroulées comme cela, on pense notamment à l’assassinat du prêtre ou à l’attentat contre le juge Falcone. Quant aux secondes, elles virent à la farce jubilatoire brillamment dialoguée et empreinte de vaudeville comme si ces mafieux prenaient le tribunal pour un théâtre. Et au-dessus de tout cela trône un Pierfrancesco Favino au sommet de son art. Du grand cinéma, juste un peu trop généreux en fin de parcours et touffu à décrypter sur tous ses versants.
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