Dans « la Tempête » de William Shakespeare, Ariel, le génie de Prospéro rapporte le propos de Ferdinand devant le spectacle du bateau, en flammes, en train de couler, « L’enfer est vide, tous les démons sont ici ! ». On pourrait en dire autant de la réunion des parrains de la mafia, au cours d’une grande fête ponctuée par un feu d’artifice, décidés à faire la paix, qui comme on s’en doute, prépare une tuerie de masse. « Le Traître », le film du dernier des monuments du cinéma italien des années fastes, Marco Bellocchio, bientôt à l’heure où j’écris ces lignes, octogénaire, en compétition officielle à Cannes, conte la guerre intestine au sein de Cosa Nostra dans les années 80, et les aveux de Tommaso Buscetta, le repenti, même si ce dernier considère que lui est resté fidèle au code d’honneur, et que ce sont les autres, qui en plongeant dans le trafic d’héroïne, ont violé les règles ancestrales de la mafia.
Le film de Bellocchio débute donc par cette fête où chacun se surveille. La guerre sera sans merci, le clan des Corleone exterminant tous les autres, sauf Buscetta réfugié au Brésil. La suite, on la connaît, les arrestations, les gigantesques procès, l’assassinat du juge Falcone, le procès du chef de la Démocratie-Chrétienne Andreotti, accusé de faire partie de la tête de la mafia, sans preuve formelle, Bellocchio insistant sur les relations étranges, mystérieuses, symbolisées par cette dernière poignée de mains chaleureuse entre Falcone et Buscetta, deux hommes que pourtant tout oppose, y compris dans la vie privée. Ils ne se reverront pas !
Buscetta, c’est Pierfrancesco Favino, acteur peu connu en France bien qu’ayant pas mal tourné dans son pays, mais révélant une interprétation exceptionnelle dans la peau de ce personnage, intraitable, coléreux vis-à-vis de ses enfants et de son (ses) épouse(s), puis révélant une âme forte pour affronter en pleine audience, menaces, injures et pitreries de la part de ses anciens amis mafieux. Un Prix d’interprétation masculine n’aurait pas été scandaleux, loin de là. Quant à Falcone, c’est Fausto Russo Alesi, pas plus connu, mais plein de réserves, de froideur au début pour verser plus tard dans la chaleur humaine.
Bellocchio s’est entouré d’une belle brochette d’acteurs transalpins dans les rôles de mafieux, les rôles féminins étant, dans ces familles machistes, réduits à s’occuper des enfants et à satisfaire sexuellement les maris. Un film puissant, qui raconte, et surtout qui explique le fonctionnement de Cosa Nostra, comme, de l’avis unanime, on ne l’avait jamais fait.
Aujourd’hui encore, Marco Bellocchio reste un cinéaste majeur pour un cinéma sans compromission avec le monde de l’argent. Toute la vie et l’œuvre de Bellocchio sont à ce titre, un exemple.