Pays basque en 1609…six jeunes femmes sont arrêtées et accusées d’avoir participé à une cérémonie diabolique le Sabbat…Ana, Katalin, Maria, Mader, Olaia et Oneka sont des jeunes filles à peine sortie de l’adolescence, Katalin est encore une enfant…elles sont belles, la joue fraiche, le rire facile, l’œil qui brille…jeunes, insouciantes, elles se donnent rendez-vous une nuit pour aller danser et chanter dans la forêt…et comme le dit l'un des protagonistes de cette histoire : "il n'y a rien de pire que des femmes qui dansent", comme un symbole d'une liberté et d'une joie de vivre insouciante forcément intolérable pour le pouvoir des hommes. Triste résonance avec l’actualité talibane !!
A l’aube des hommes en armes les traquent et les jettent au cachot. Cet épisode renvoie à un fait bien réel, l’envoi en mission par Henri IV du magistrat Pierre de Rosteguy de Lancre, afin de purger le pays de tous les sorciers et sorcières sous l’emprise des démons. Pierre de Lancre prend sa mission très au sérieux et dispose d’ une palette de moyens pour faire avouer les sorcières , y compris la torture mais son souhait le plus profond est de décrire et récréer le sabbat endiablé au cours duquel il suspecte les filles de s’offrir corps et âmes aux démons… les supposées sorcières ignorent bien entendu tout du sabbat et essayent de jouer la montre en attente du retour des hommes du village partis pêcher à Terre Neuve et qui doivent revenir à la prochaine pleine lune, car dès le XVI siècle les pêcheurs basques se rendaient à Terre Neuve pêcher la morue puis la baleine. Qu’importe l’innocence de ces femmes, l’issue de l’enquête est écrite d’avance, dans une société où être née femme suffit à être coupable de quelque chose…la plus délurée, Ana va vite comprendre que la meilleure chance de retrouver leur liberté est d’abonder dans le sens de l’inquisiteur pour mieux le manipuler, allant jusqu’à le troubler profondément, séduit et fasciné, il finit par ne rien désirer d’autre que se laisser consumer – ainsi s’inverse le rapport de pouvoir.
Réalisé par un cinéaste argentin, Pablo Agüero, le film a été récompensé par cinq Goya (les César espagnols), ce qui en fait le film est le plus primé du cinéma ibérique. Une grande partie du film se passe dans une semi-obscurité, éclairée à la bougie, avec quelques échappées vers une campagne lumineuse pour marquer la vie d’avant…
La fin offre à l’inquisiteur ce qu’il attend, la reconstitution d’un sabbat qui prend l’allure d’une grotesque pièce de théâtre et à laquelle s’offrent des voyeurs. "Tant que l’on n’aura pas vu un sabbat, nous ne saurons pas si cela existe", assène le juge. Le film montre comment, sous l’influence du juge, ce qui n’était qu’une petite fête entre amies se métamorphose en une véritable célébration satanique. Toute la perversité de la politique inquisitoire éclate dans un tel processus. Le spectacle est celui de femmes tenues pour responsables pour la peur viscérale qu'elles inspirent, en même temps que pour la fascination qu’elles suscitent. La scène assez surréaliste est quand même une peu trop grand guignolesque et aurait gagné en sobriété. Avec la reprise de la figure de la sorcière par les mouvements féministes, Pablo Agüero signe un film historique, âpre et fascinant, particulièrement en résonance avec notre époque.…