C’est un film à l’atmosphère étrange et à l’indéniable beauté que nous offre Christian Schwochow avec cette « Leçon d’Allemand », les allemands l’ont appelé « L’heure Allemande » …on aurait pu l’appeler la « Leçon d’histoire » tant ce film revisite les heures sombres de l’Allemagne, dresse le constat implacable, plein de rigueur et de rugosité, du piège de la violence dans lequel s'enferre une humanité qui n'apprendra jamais de ses erreurs. Le film commence dans une prison allemande ou plutôt une maison de redressement …Siggi Jepsen, jeune homme tout juste sortie de l’adolescence y a été placé à la suite d’un délit que l’on découvrira à la fin du film…Il y suit sa scolarité et rend une copie blanche sur le sujet « Les joies du devoir »… Sommé de composer, reviennent à sa mémoire son passé coincé entre un père inflexible, policier, qui vit dans un petit village au bord de la mer baltique, où tout le monde se connait, et qui s’est fait un devoir d’obéir à la lettre aux ordres du pouvoir nazi…même quand Berlin lui ordonne à la fin de la guerre , de saisir les œuvres de son voisin et ami peintre, Max Ludwig Nansen, interdit d’exercer car pratiquant un art dégénéré…Siggi enfant s’est vu enrôlé par son père pour espionner ce peintre auquel le liait une complicité de toujours…Christian Schwochow s’est attaqué à l’adaptation d’un grand roman de 1968 de Siegfried Lenz..Le film se déroule comme un long flash-back entrecoupé de quelques passages dans la maison de correction. C’est un film lumineux, tourné dans des superbes paysages sauvages battus par les vents, d’un grand classicisme dans son interprétation, montrant avec sensibilité le conflit de loyauté de ce jeune garçon, pris entre un père virant au dictateur familial, à qui il dissimule de plus en plus de choses, et ce peintre affectueux qui n’a pas d’enfant, qui l’initie à la peinture, quitte parfois à se servir de l’enfant…
Enfermé dans cette prison à ciel ouvert qu’est la rase campagne et les vasières longeant le littoral de la Baltique, ne pouvant fuir et oscillant donc entre les deux pôles idéologiques que sont son père et le peintre Max, Siggi ne peut que constater la perte de repères due à la fonction policière au service de la barbarie la plus illégitime du premier, et l’absence de la réaction attendue de la part du second, comme anesthésié par la résignation. Violence et résignation sont les deux inconnues d’une équation dont le résultat sera toujours la déshumanisation : celle exercée par le fort et subie et finalement acceptée par le faible. C’est en naviguant de l’un à l’autre de ces pôles que Siggi montre qu’il semble le seul capable de conserver sa raison et son humanité , créant dans une maison abandonnée une sorte de petit sanctuaire, de cabinet de curiosités tout personnel où il entrepose de façon presque religieuse certaines œuvres de Max Nansen subtilisées au nez et à la barbe des nazis et de son père, des dessins interdits détruits mais reconstitués par l’enfant, ainsi que des squelettes d’oiseaux de mer morts ou des morceaux de vitres brisées reflétant une lumière diaphane sur ce musée clandestin.
C’est un beau film, souvent rugueux… impressionnant par la maîtrise de la mise en scène. Christian Schwochow transforme ce drame froid en brillante analyse de la manipulation et de l’autorité. Et l’image, signée du chef opérateur Frank Lamm, est d’une rare beauté. J’ai beaucoup aimé !!