Lee Miller n'est ni un biopic ni un film historique.
Lee Miller fut indéniablement une femme fascinante ; une femme libre, au parcours complexe, qui n'a pas vécu une mais plusieurs vies. Pourtant, de ce matériau si riche, Ellen Kuras n'a rien su faire ! Car elle a vu en Lee Miller une femme du XXIe siècle. Du coup, elle a mis des mots dans la bouche de son personnage qui ne sont pas ceux de la vraie Lee Miller mais les siens. Elle utilise son héroïne pour juger une époque révolue, 80 ans plus tard, confortablement vautrée dans les certitudes d'une époque qui a conscience de ce que les femmes et hommes de cette époque ne percevaient que partiellement et sans recul.
Je n'ai pas l'habitude de spoiler dans mes critiques mais, exceptionnellement, je vais utiliser deux exemples pour illustrer mon propos.
SPOILER 1 : la fameuse photo prise dans la baignoire d'Hitler le jour de sa mort.
Lorsque Lee Miller et David Sherman entrent dans l'appartement munichois d'Hitler, une musique dramatique les accompagne. Les deux personnages ont le visage impassible, conscient de la gravité du moment alors que, tout autour d'eux, les soldats américains boivent, rient, et jouent sur le piano d'Hitler comme des gosses inconscients. La scène de la photo est montrée comme un acte à la fois artistique et historique. Or, la vraie Lee Miller a plusieurs fois expliqué cette photo qui a fait le tour de la planète. Elle a déclaré être alors dans le même état d'esprit que ses camarades soldats. C'est pour cela qu'elle s'est lavée dans la baignoire et a dormi dans le lit du monstre de façon irréfléchie et provocatrice. Car Lee Miller était une femme de son époque qui fut prise dans le même tourbillon passionnel d'une moment d'histoire d'une violence inouie.
SPOILER 2 : la crise de Lee Miller dans les bureaux du magazine Vogue.
1945, rentrée d'Allemagne, Lee Miller découvre que les photos qu'elle a prises à Buchenwald et Dachau n'ont pas été publiées. Elle fait un scandale. Elle ne comprend pas les justifications de la rédactrice en chef, elle ne veut pas entendre qu'il faut épargner les Britanniques d'un trauma. Pour elle, les photos sont violentes mais le monde doit savoir. Ca, ce n'est pas Lee Miller, c'est Ellen Kuras et notre époque qui exigent la vérité et la justice. Car la vraie Lee Miller ne l'a jamais dit à son propre fils et ne lui a jamais montré les photos, parfaitement conscience du traumatisme que cela pouvait générer. Et le pire, c'est qu'Ellen Kuras l'écrit elle-même dans le générique de fin !!!
Ce film n'est pas un biopic mais il n'est pas davantage un film d'histoire.
C'est un conte pour enfant où la monstruosité est acceptable car elle ne concerne pas le spectateur. L'horreur est reléguée au passé, avec des méchants qui commettent le mal et des gentils qui luttent pour le bien, à l'instar de Lee Miller. Les vrais films historiques ne nous interdisent pas le jugement (heureusement !) mais ils cherchent à éviter la caricature et le manichéisme. Les vrais films historiques cherchent à montrer la complexité des événements et des hommes. Ils nous permettent de mieux comprendre qu'entre noir et blanc, il y a toute une nuance de gris (50 ?) et que les mêmes mécanismes peuvent provoquer les mêmes horreurs, faisant un lien avec le présent.
Ces films caricaturaux sur la 2e Guerre mondiale sont dangereux. Ils participent à créer une mémoire collective simplifiée, déconnectée de l'histoire réelle. Les hommes n'ont pas besoin de "devoir de mémoire" mais de "devoir d'histoire". Car voir ainsi le passé le transforme en conte. On pleure en regardant Lee Miller et on fait ensuite des selfies à Auschwitz. Malheur d'une époque où tout est transformé en divertissement. Et ce film y participe.
Un dernier mot sur la réalisation et la mise en scène qui sont absolument pathétiques avec, à l'instar de cette scène surréaliste
où Marion Cotillard balaye les gravas de son appartement parisien devant un grand drapeau nazi.
Le film est également beaucoup trop long. Il était pourtant très facile de le réduire de moitié ; il suffisait de supprimer toutes les scènes où Kate Winslet s'allume une cigarette ou se sert un verre de whisky, c'est-à-dire la moitié du film.
Un film à fuir !