Se souvient-on de son regard d’enfant lorsqu’on est devenu un adulte ? Se souvient-on de la façon dont on voyait le monde, les autres, ses parents, ses proches, ses éducateurs, son environnement ? Avec les années, le regard change mais, pour ceux qui ont gardé en eux quelque chose de leur enfance, le souvenir demeure. Vanessa Filho, sans nul doute, fait partie de ceux-là, son film en donne la preuve. Les cinéastes qui filment l’enfance le font parfois de leur point de vue d’adulte. D’autres, parmi lesquels cette réalisatrice, savent se mettre à hauteur d’enfance, adoptant, en quelque sorte la position de l’enfant qu’ils mettent en scène. Pas la moindre condescendance chez eux mais une proximité telle qu’on a le sentiment de retrouver soi-même un regard d’enfant.
Cette gageure, car c’en est une, est parfaitement tenue tout au long de « Gueule d’ange », sans défaillance. Pourtant ce film met en scène des personnages atypiques et nous met en présence de situations complexes et douloureuses. Marlène (jouée à la perfection par Marion Cotillard, impeccable une fois de plus) interprète ici la mère de Elli, une petite fille de 8 ans, qu’elle est incapable d’éduquer comme il faudrait. En femme qui veut profiter de sa vie, elle se trouve comme encombrée de son enfant qu’elle traîne dans des lieux de fête et de plaisir qui ne conviennent évidemment pas à une petite fille de cet âge. Mais c’est un personnage hétéroclite, en vérité, que cette femme : elle est comme écartelée, semble-t-il, entre son amour pour sa fille, qui est réel, et un désir d’indépendance qui peut la rendre dure comme pierre et l’éloigner d’Elli au point même de l’abandonner.
Pour la petite fille, on l’imagine, être dotée d’une telle mère, à l’âge où il faut se construire, est extrêmement perturbant. La toute jeune actrice Ayline Aksoy-Etaix, à qui est confiée ce rôle, se l’est approprié d’une manière qui laisse pantois. On n’en revient pas de voir comment elle sait interpréter son personnage de fillette consternée par sa propre mère, une fillette qui, entraînée dans des lieux qui ne lui conviennent pas, part à la dérive, cherchant désespérément à se raccrocher à ce qu’elle peut. Elle, qui ignore tout de son père (sinon qu’il pourrait ressembler à Einstein, comme le dit en plaisantant sa mère !), essaie de se sauver elle-même en s’attachant à un homme qui pourrait être un père de substitution. Mais c’est d’une mère dont elle a surtout besoin et c’est à elle qu’elle crie : « Ne pars pas ! Ne me laisse pas ! » jusqu’à s’égosiller.
Malgré deux ou trois scènes quelque peu maladroites, ce premier film de Vanessa Filho impressionne par sa maîtrise et surtout par la justesse de son regard, par ce point de vue que la cinéaste adopte et conserve, quasiment tout au long du long-métrage, celui d’une enfant qui vacille.