En proposant « BlacKKKlansman » à l’Amérique et au Monde de 2018, Spike Lee fait ce qu’il a toujours fait : du cinéma militant qui (contrairement aux sbires qu’il filme cette fois-ci) n’avance pas masqué. En plus de 2h15, Lee filme une histoire vraie des années 70 à laquelle personne n’aurait cru si elle était sortie de son cerveau de scénariste. 2h15 et pas une seconde d’ennui, Spike Lee connait le job. Il alterne les scènes fortes et les scènes plus anecdotiques, rythme parfaitement son propos pour ne jamais laisser retomber le soufflet, il sait quand injecter de l’humour et quand être sérieux, il sait manier sa caméra, donner de l’effet à certains plans, il sait quelle musique appuiera son propos sans rien dénaturer, il sait pour finir jouer avec le suspens sans en abuser, le doser bien comme il faut pour que tout reste crédible. Spike Lee n’hésite pas à insérer dans « BlacKKKlansman » des images d’autres films comme « Autant en Emporte le Vent » ou « « Birth of a Nation » ou à contrario des références à la Black Culture. En faisant cela, il insère son film (et au delà toute sa filmographie) dans une démarche qu’il n’a pas inventé, celle du cinéma engagé, militant : Le cinéma est une arme, le cinéma influence la société, conforte les préjugés, enferme ou libère les communautés. Si le cinéma à été une arme dans les mains des Blancs, il n’y a aucune raison que lui, Spike Lee, ne se serve pas de son cinéma comme d’une arme au service des cause noire. C’est la démarche de Spike Lee depuis toujours, et comme je l’ai dit, lui au moins n’avance pas masqué. Techniquement donc, pas grand-chose à reprocher à « BlacKKKlansman », qui tient la route de la première scène à la toute fin, une fin qui laisse la salle dans un silence de mort avant que des applaudissements ne retentissent. Oui, la salle à applaudit à la fin, c’est très rare en France et ça signifie quelque chose ! Le film bénéficie d’un duo d’acteur excellent et de seconds rôles un peu plus caricaturaux mais néanmoins très bien tenus. Dans le rôle de Stallworth, on découvre John David Washington (fils de Denzel) qui je ne connaissais pas avant et dont on va entendre parler à l’avenir car il est vraiment excellent ici, en flic opiniâtre, tiraillé entre son métier qu’il aime et la couleur de sa peau qui en fait une cible pour ses propres collègues. A ses cotés, Adam Driver qui est lui aussi parfait dans un rôle difficile, celui du flic qui va aller au contact et devoir s’intégrer, va devoir mentir, va devoir improviser, sortir des insanités, côtoyer des vrais s....., se montrer raciste, violent, antisémite, un peu homophobe et misogyne au passage (tant qu’on y est…) et il le fait avec une conviction qui met presque mal à l’aise. Les seconds rôles, de Topher Grace à Laura Harrier en passant par Paul Walter Hauser sont bien tenus malgré leur côté un peu caricaturaux. Le scénario de « BlacKKKlandman » est donc basé sur une histoire vraie, celle d’un policier noir qui a osé infiltrer le Klan et déjouer un attentat. Cette histoire surréaliste n’était pas connue jusqu’au livre du vrai Stallworth, aujourd’hui retraité et libéré des contraintes de silence de son ancien job. C’est par la voie de la comédie que Spike Lee met en scène cette histoire, il ridiculise le Klan tant qu’il le peut, c’est facile, c’est réjouissant : il suffit de montrer combien ils sont incultes et combien ils vont violents. On pourrait reprocher à Spike Lee de grossir le trait mais en réalité, je crois qu’il n’a eu qu’à se baisser pour ramasser la bêtise crasse au ras du sol, là où elle se trouve. Lee met en scène deux formes de combat politique extrémiste, d’un côté le Black Power des Blacks Panthers, qu’il traite avec (c’est vrai) une certaine indulgence et de l’autre côté le White Power, qu’il traite avec la violence qu’il mérite. Il appuie fort sur le stylo, très fort, et parfois ça frise le ridicule. La scène où, en parallèle, le Klan mate « Birth of a Nation » en se comportant comme des gamins surexcités alors que, dans le même temps, un vieux monsieur vient raconter un lynchage à des étudiants noirs, est outrancière. On peut dire la même chose de la courte scène où Connie et Felix projette de tuer des Noirs en amoureux comme on programme un voyage de noce, c’est too much ! Oui, mais c’est un film militant, c’est une arme cinématographique dans une Amérique qui a sombré elle aussi dans l’outrance, dans la caricature, dans le populisme le plus odieux. Lee donne des petits coups de pied à son Président tout au long du film, en mettant dans la bouche du Klan ses slogans de campagne, en montrant David Duke, le grand sorcier du Klan, dire publiquement le plus grand bien de Donald Trump, en faisant dire à son héros que jamais, ô grand jamais, l’Amérique n’élira comme Président un populiste raciste … Ca fait rire, ca fait rire jaune. Les images de fin, qui montrent les évènements de Charlottesville de 2017, sont terrifiantes et laissent la salle dans un silence de mort : Tout au long de « BlacKKKlandman », on a vu a violence des suprématistes Blancs sous forme de paroles et de fiction, on s’est moquée d’eux mais la voir en vrai ne fait plus rire du tout. Elle terrifie, elle serre le cœur, elle remue les entrailles, en un mot, elle révulse. Pas de doute Spike Lee a réussi son coup, il réussi même un double coup : il fait un bon film et il contrarie les imbéciles, et ça, c’est doublement réjouissant.