Une chose au moins est sûre avec ce ‘’BlaKkKlansman’’ de Spike Lee, c’est qu’il sort pile poil au bon moment. Avec tout ce qui arrive à l’heure actuelle, ce film est bien un film dans l’ère du temps : une œuvre qui dénonce les agissements du Ku Klux Klan et son racisme. Une œuvre qui avec l’arrivée au pouvoir d’un certain président aux USA devient un véritable brûlot politique. C’est certainement son sujet qui a permis au film de remporter le prestigieux Grand Prix au festival de Cannes. Et cela ne surprend guère quand on sait à quel point le festival de Cannes est porté sur la politique (il est donc normal que ‘’BlaKkKlansman’’ soit au palmarès). Pourtant, ‘’BlaKkKlansman’’ est-il vraiment un si grand film que ça ?
A la fin des années 70, l’inspecteur afro-américain Ron Stallworth (John David Washington) décida d’infiltrer le Ku Klux Klan. Mais si Ron parvient à entourlouper ses membres au téléphone, il comprend vite qu’il a besoin d’aide pour mener sa ‘’croisade’’. Un de ses collègue juif, Flip Zimmerman (Adam Driver) accepte de se faire passer pour Ron et de se rendre aux réunions du Klan. Parallèlement à l’enquête, Ron rencontre Patrice Dumas (Laura Harrier), une leader locale d’un mouvement de défense des noirs.
A Cannes, il y a un prix qu’aurait mérité ‘’BlackkKlansman’’. Plutôt que le Grand prix, le jury aurait dû lui remettre le prix du scénario car la force du film repose essentiellement sur son scénario. L’histoire est évidemment incroyable et pleine d’ironie mordante : comment un afro-américain et un juif parviennent-ils à se faire un nom au sein de l’Organisation (nom dissimulant le Ku Klux Klan). Face à cette situation quasi-burlesque, Spike Lee décide de faire un film ‘’presque’’ comique (‘’presque’’, Spike Lee ayant paraît-il rétorqué à un journaliste qu’il n’avait nullement fait une comédie). Certes, la noirceur afflue de-ci, de-là (comme dans ce montage parallèle entre la cérémonie d’introduction de Ron dans le Klan et le témoignage d’un vieil homme noir de la mort affreuse de Jesse Washington), mais dans son ensemble le film adopte un rythme digne de la comédie. Les dialogues font souvent mouche : voir la scène où David Duke, très sûr de son fait, explique au téléphone à Ron la manière de reconnaître le langage des noirs. Des scènes de ce genre-là, c’est-à-dire drôles et bien senties, il y en a à la pelle. Il serait inutile d’en faire ici une liste. L’autre réussite du film, c’est la représentation du Ku Klux Klan. L’organisation étant officiellement illégale, ses membres se terrent dans de minables bars, semblent avoir une vie bien rangée. Tout comme les mouvements pour les droits des noirs, ils savent que la bataille est dorénavant politique. c’est ici qu’intervient David Duke, le grand sorcier du Klan : presqu’ un homme comme tout le monde, bien sapé, il porte le combat sur le chemin de la légalité (et donc sur le chemin le plus dangereux pour les adversaires du KKK). Spike Lee ne convoque pas toutes les 5 minutes cagoules, bûchers et croix de feu… et on le remercie tant on aurait été dans le cliché total. Une croix de feu, il n’y en a qu’une seule en fin de film : elle sonne comme un avertissement, comme un signe de survivance du KKK. Car si ce dernier a dû se terrer dans l’ombre pendant un certain temps, politiquement, leurs actions semblent avoir porté leurs fruits, compte tenu de la politique de l’actuel président américain.
Le film avec ses retours enthousiastes est donc fort bien accueilli. Un sujet puissant qui n’exclut pas, tout de même, des maladresses. Plusieurs fois, Spike Lee dénonce deux films : ‘’Naissance d’une nation’’ (D. W. Griffith, 1915) et ‘’Autant en emporte le vent’’ (Victor Fleming, 1939). Politiquement, la colère de Spike Lee concernant ces deux films est justifiée. En revanche, pour le Cinéma, ces deux films sont des monuments (le film de Griffith est l’une des premières superproductions de l’histoire du cinéma ; son montage était novateur). Et c’est là où, hélas, Spike Lee montre qu’il s’intéresse plus à la politique qu’au cinéma. Car ‘’BlaKkKlansman’’ est en tout point l’extrême opposé des films de Griffith et de Fleming (où de Curtiz, ce dernier aurait pu avoir tourné des scènes d’ ‘’Autant en emporte le vent)’’. Le film de Spike Lee est doté d’un édifiant (et important) message politique, mais au contraire de ‘’Naissance d’une nation’’ et d’ ‘’Autant en emporte le vent’’ n’a rien de bien enthousiasmant en terme de mise en scène. A part se donner l’air cool avec de la bonne musique, ‘’BlacKkKlansman’’ ne propose presque rien visuellement (mis à part le montage parallèle évoqué ci-dessus et ce plan de la rétine d’un des membres du KKK où se reflète une croix en feu). Et c’est sûr ce point que le film est embarrassant. Tu veux répondre à des monuments tels que ‘’Naissance d’une nation’’ et ‘’Autant en emporte le vent’’ ? C’est tout naturel et tu as raison de le faire. Mais dans ce cas, il faut te donner les moyens de ton ambition. Ton film doit être une réponse politique, mais aussi cinématographique. Il faut par conséquent que ton film soit doté d’une ampleur visuelle inoubliable, et pas simplement scénaristique. Qu’est-ce qui a fait que ‘’Naissance d’une nation’’ et ‘’Autant en emporte le vent’’ deviennent des chefs-d’oeuvre du cinéma, tout en étant dotés d’un fond nauséux ? La réponse est : le souffle épique, une dimension titanesque, une impression de renouvellement total… Tout ce que n’a pas ‘’BlacKkKlansman’’ de Spike Lee. Et le fait que le film de Spike Lee ne soit pas une superproduction au budget ronflant n’est pas une excuse : on peut avec trois bouts de ficelle réaliser des plans inouïs, qu’on est pas prêt d’oublier. Dans ‘’BlacKkKlansman’’, à part les acteurs, il n’y a pas grand-chose à regarder (dernière pique envers le film : si Adam Driver s’en tire bien, John David Washington pour compenser son manque de charisme est obligé de cabotiner un max ; Vous cherchez un charisme naturel ? Allez voir le paternel de l’acteur : Denzel Washington ).
Spike Lee a comme toujours la main un peu lourde. Mais, justement, on aurait aimé que cette main un peu lourde le soit aussi avec la réalisation du film, trop anonyme. En effet, pourquoi faire grand cas de ce film là, quand des centaines d’autres films dénoncent le racisme avec plus de subtilité et de mise en scène ? Rien que ‘’Mississippi Burning’’ d’Alan Parker, est deux fois supérieur à ce ‘’BlacKkKlansman’’ car doté de vrais partis-pris de réalisation. Toutefois, après avoir écrit toutes ces méchancetés, il faut aussi ajouter que l’oeuvre est susceptible de conquérir un large public. Il faut en conclusion aller voir le film, à condition de ne pas être trop regardant sur la pauvreté visuelle du film.