Sur le papier, "Voyage à Yoshino" avait tout pour séduire. Un synopsis qui révèle un mélange (que l'on suppose savant) entre film contemplatif et intrigue à mystère, des comédiens talentueux (Juliette Binoche et le Japonais Masatoshi Nagase) et surtout, une réalisatrice qui nous avait déjà séduits par son esthétisme et sa poésie, qu'on avait pu admirer dans "Les délices de Tokyo" ou "Still the Water".
C'est donc bien volontiers que l'on s'installe sur notre siège, prêts à embarquer pour un voyage dans cette forêt du Japon contemporain, préservée des godillots des touristes et abritant une mystérieuse plante médicinale, recherchée par la jeune Française qu'incarne Juliette Binoche.
Mais très vite, on déchante pour se rendre à l'évidence : on ne quitte pas notre siège pour le Japon, bien au contraire. On s'y agite avec impatience, désireux de voir enfin arriver le terme de l'heure et demi que s'est octroyée Naomi Kawase pour filmer sa ville natale et déployer une intrigue mystico-amoureuse sans queue ni tête.
Ce qui déçoit dans "Voyage à Yoshino", c'est l'incapacité de sa réalisatrice à choisir sa voie.
D'un côté, le film aurait pu être un film d'intrigue. Avec une action convaincante, des personnages consistants et une construction narrative cohérente, apte à ménager le suspense et à maintenir l'intérêt du public. C'est raté. L'intrigue capillo-tractée ne parvient ni à faire oublier la platitude des dialogues et des personnages, ni à pardonner la performance d'une Juliette Binoche transformée en Française naïve et pleurnicharde dont les mimiques et réactions frôlent parfois l'insupportable.
On se dit alors que la réalisatrice des "Délices de Tokyo" a volontairement délaissé action et cohérence narrative pour faire le choix d'un film contemplatif, mystique et poétique. Et en effet, la manière de donner à voir la forêt, pilier du film et personnage à part entière, a de quoi séduire. C'est même lorsque les arbres envahissent l'écran que le voyage a lieu. Les plans sur la canopée balayée par le vent, l'immersion sensorielle au cœur de cette forêt vivante et préservée ou les scènes où le taiseux et discret Tamo travaille le bois, communiant en silence avec les arbres centenaires, constituent l'interêt du film.
Mais pourquoi alors ne pas s'engager pleinement dans la voie du film contemplatif, et reléguant les dialogues et les intrigues au second plan et en accordant davantage d'importance aux mots?
Car si les propos des personnages - souvent lapidaires - se veulent mystiques et profonds, ils sonnent souvent creux et (la faute à la traduction française?), basculent parfois dans la niaiserie et le ridicule ("aujourd’hui les nuages filent" ou « le bonheur existe dans chacun de nos coeurs » s'évertuera à répéter Juliette Binoche).
Si Kawase avait choisi le film contemplatif, il aurait donc fallu suggérer plutôt que souligner à outrance. Évoquer avec délicatesse l'amant de Juliette Binoche plutôt que de superposer au visage de Tamo celui de l'ancien amant, lors d'une scène d'amour peu subtile. Initier subtilement une réflexion sur la nature et nos sociétés prédatrices, plutôt que de l'imposer lourdement en inventant l'existence d'une plante de fin du monde et en multipliant les poncifs dans la bouche de ses personnages ( "Save the mountain" ne cessera de répéter le personnage de la vieille femme).
Un (trop) long-métrage décevant, qui hésite constamment entre deux voies : d'un côté contemplatif et poésie mystique, de l'autre drame amoureux et quête épique. On ne peut que regretter qu'à l'écran, les conséquences de cette indécision desservent l'indéniable talent de Kawase pour filmer cette nature magistrale.