Pour moi, le film se divise clairement en deux parties, l’une hyper-réjouissante et l’autre franchement décevante. Pendant une heure, Govinda nous plonge progressivement dans l’atmosphère de ce village qui semble vivre en autarcie, un peu comme le Brigadoon de Vincente Minnelli. Le réalisateur fait un excellent travail sur les espaces, les grands espaces de la nature, et les « petits » espaces à l’intérieur des murs. Entre prairies, champs et rivière, nous respirons le grand air luxembourgeois et nous comprenons comment se déroule la vie et le travail de cette communauté rurale. Govinda prend son temps, il fait se dilater plusieurs moments dans une approche quasi-documentaire, nous sommes au plus proche des êtres et de leurs coutumes. Un peu comme Jens (très bien interprété par Frederick Lau), nous sommes à la fois fascinés et déconcertés par ces êtres rustres mais accueillants.
Le travail sur la photographie (signée Narayan Van Maele) est superbe : j’ai rarement vu un film luxembourgeois aussi beau plastiquement, dans sa façon de nous dépeindre aussi bien les paysages naturels que les scènes d’intérieurs dans les habitations et cafés.
Les problèmes arrivent dans la deuxième heure du film. Nous voilà bien calés dans le décor, les personnages nous ont clairement été exposés, avec une présence forte, une densité, une profondeur réelle. Le mystère est entier et savoureux, plusieurs questions restent en suspens, on sent que quelque chose de grave s’est passé ou va se passer, et on veut voir la suite.
La suite justement. Techniquement, la 2e heure de film reste maîtrisée, mais quelque chose s’écroule au niveau de la narration. On a l’impression que tout le mystère accumulé pendant la première partie éclate comme une bulle de savon. Les personnages ne sont guère développés, ils pédalent à vide et le récit semble de plus en plus décousu. Je pense que là où ça pêche vraiment, c’est au niveau du scénario, qui cale et hésite entre plusieurs directions - film fantastique, thriller rural, film noir -, sans qu’aucune ne soit aboutie, et donnant lieu à quelques pirouettes quasiment grotesques.
Par ailleurs, la dernière partie du film surligne et se complaît dans une sorte de message à valeur socio-politique : comment un être étranger, forcément différent, finit par être intégré, assimilé, phagocyté par une communauté renfermée sur elle-même et qui l’oblige à accepter ses rituels et son mode de fonctionnement. Comment un individu fort de sa différence finit par se laisser couler dans le moule de la communauté, avec un sentiment mêlé de regret et de satisfaction. Un peu trop démonstratif comme exercice à mon goût, même si la dernière scène est très belle.
Tout cela étant dit, je vous recommande quand même d’aller voir ce film, qui dénote une vraie patte de réalisateur, un regard d’artiste sensible et une grande souplesse technique. "Gutland" bénéficie aussi d’une photographie extraordinaire et d’un jeu d’acteurs assez prenant. Enfin, malgré le côté erratique de la 2e heure, le film nous offre un regard assez affuté sur le pays. Un Luxembourg champêtre et profond, hypnotisant parfois, que l’on a envie à la fois d’aimer et de fuir – comme le dit si bien Lucy-Vicky à un moment de l’histoire.