Tout va bien pour le père, la mère et leurs deux enfants : ils sont aisés et heureux et habitent un chouette et grand appartement.
Le film commence par une soirée entre amis le samedi et puis le dimanche matin le père emmène les enfants au parc. Sans doute comme tous les dimanche.
La mère reste à la maison.
Cependant, avant d'aller au parc, le père téléphone à ce qu'il pense être l'amant de sa femme pour lui proférer des menaces.
Le plan suivant nous montre donc le parc, des enfants jouent autour des balançoires et autres toboggans, des adultes sont assis sur les bancs, autour, un ballet de poussettes, de trottinettes, de rollers et de ballons.
On entend des conversations, puis la voix du père, un monologue, il est au téléphone, parle boulot avec un collègue, puis avec une autre personne qu'on devine être sa maîtresse.
Et puis la caméra fixe le père sur son banc… Les deux enfants le garçon Ilie et la fille Maria reviennent régulièrement près de leur père, le premier va jouer au foot, la seconde retrouve une copine, va acheter une glace avec la mère de celle-ci. Tudor est toujours au téléphone puis il va prendre un café mais il surveille quand même attentivement ses enfants… Une dispute s’engage non loin de là entre deux vieilles dames et un homme qui promène son chien. Et puis, soudain, presque d’une seconde à l’autre, le père ne voit plus sa fille Maria, il la cherche, panique, l’appelle, demande qui l’a vue aux enfants et aux autres parents, court près du plan d’eau et des toilettes, revient. La panique est tangible, elle gagne tout le monde, le père appelle la police. Fin du plan-séquence de quinze minutes. Tout s’est passé à la fois très lentement et très vite, comme dans les pires cauchemars de tout parent.
La suite sera un lent délitement de la cellule familiale, chagrin et remords, incompréhension, jusqu’à ce que, l’espoir s’amenuisant, la mère de famile ne supporte plus son mari et elle emmène leur fils chez ses parents à elle. Le père reste seul, il voie régulièrement le commissaire de police, il scrute les photos prises ce jour-là sur des téléphones portables d'autres personnes, il se laissant aller physiquement, maigrit, perd les pédales, s'affaiblit mais cherche sans relâche un signe, un indice, une preuve, bref un coupable.
C’est l’histoire d’une disparition. Inexplicable, insupportable, qui impacte tout, fait remonter des soupçons, des inquiétudes, des fissures sous le vernis du bonheur familial.
On est sans cesse avec ce père de famille (acteur primé à San Sebastian) dans sa panique et sa douleur, puis dans son obsession autodestructrice. Le film dure 2 h 30 et se fait aussi réflexion sur le temps, qui s’étire ou se contracte, qui fait des bonds ou vous englue. Le temps du film nous atteint comme l’épreuve traversée par Tudor, fait de nous des témoins impuissants, des enquêteurs de pacotille, des accompagnateurs empathiques. Thriller haletant, polar de l’âme, Pororoca est un immense film bouleversant, signé par Constantin Popescu qui nous prouve ici qu’il fait bel et bien partie de la « Nouvelle Vague roumaine », aux côtés des plus grands : Mungiu, Porumboiu, Pui. Et qu’il faudra désormais compter avec lui.