OURAGAN SUR LE CINÉMA AFRICAIN
SYLVESTRE AMOUSSOU RÉVOLUTIONNE LE FILM POLITIQUE
MICHEL GALY (critique parue dans le mensuel "Afrique Asie"
L’Afrique c'est la guerre, chez Sylvestre Amoussou. Et tout d'abord la « guerre des images »Puis la guerre tout court, par tous les moyens. Un dirigeant nationaliste africain décide de nationaliser-sans indemnités, le détail a son importance, toutes les entreprises occidentales dans son pays. Un consortium de ces multinationales appuyés par les puissances extérieures décide de déstabiliser le pays à l'aide de mercenaires, de corrompre et de tuer, de légitimer les « rebelles » et d’en finir avec le leader charismatique par une intervention militaire onsusienne... Scénario connu, comme on dit : « J'ai l'habitude ! » affirme avec assurance à un quarteron d'entrepreneurs occidentaux la « Madame Afrique »de choc(la remarquable Sandrine Bulteau) avec cynisme...elle l'a déjà fait dans plusieurs pays africains!Mais le président ne se laissera pas faire, et la fin-à l’américaine, est aussi émouvante
qu 'inattendue.
Au temps du Fespaco de Sankara, un slogan marxisant- en tout cas matérialiste, fleurissait sur les murs de Ouaga :" Celui qui tient la distribution, tient le Cinéma ". Sylvestre Amoussou s'est bien heurté au mur d'argent -mais plutôt celui de la production.Et à plusieurs reprises.
Le cinéma alternatif, c'est la guerre. Un film anti-colonial et pan africaniste ne doit pas trouver de subvention . Amoussou s'en étonnait à Ouagadougou sur Burkina 24 : « je ne savais pas qu’en voulant filmer une autre image de l'Afrique j’allais déclencher une bataille féroce (…) l’ensemble des institutions[ de financement occidental du cinéma africain] décidèrent de me couper les vivres ! ». Car, dit-il, « ce ne sont pas les sujets que les occidentaux ont envie de voir. Parce qu’il y a plusieurs guichets en Europe. Il y a déjà beaucoup de fonds en Europe qui accompagnent le cinéma en Afrique. Mais il faut que ce soit des films sur le misérabilisme. .. »
Le réalisateur a l'habitude, et des sujets brûlants, et par conséquence, des difficultés à les financer : après « Africa Paradis »( troublante fiction où des clandestins européens tentent de trouver du travail dans une riche Afrique qui les rejette), « Un pas en avant » a dénoncé la corruption et le détournement de l' « Aide humanitaire » omniprésents au Sud du Sahara.
Alors comme pour son film précédent, Amoussou s'est battu pour récolter des fonds privés(ainsi Sébastien Adjavon, entre autres), permettant un mois de tournage au Bénin - et c'est le succès inespéré du Fespaco 2017 qui l'a vraiment sorti d'affaire. « L’Ouragan africain », projeté en même temps que le documentaire sur Sankara, tout un symbole ! Bien plus que le film d'Alain Gomis (« Félicité », Étalon d’or du même Fespaco), les foules de Ouaga ont accueilli le film d'Amoussou en triomphe : le pays si peu imaginaire où se déroule l’action ne s’appelle t il pas le « Tangara » ?
La présentification, si l'on peut dire, de la fiction passe peut être par le charisme du réalisateur -acteur. Formidable Amoussou en président Ezo Essogbe qui annonce sur la chaîne nationale le « plan Africa » : la nationalisation des entreprises occidentales hic et nunc!Ouaga vibrait de se ressouvenir du « gouvernement par le Verbe » d’un petit capitaine si près du peuple qu'il défiât la France mittérandienne...
Mais c'est un inattendu et remarquable travail sur le son qui trouble le spectateur, l’amenant à ressentir l'action de plusieurs lieux. Le discours présidentiel, est ainsi retransmis du coté du président , puis immédiatement après à la télévision, puis du coté des spectateurs dans un maquis populaire- identification efficace pour le spectateur.
Film non situé et non daté, uchronie et utopie ? De fait les spectateurs africains reconnaissent bien des mots clefs, des slogans, des situations... Amoussou a bien parlé de Khadafi , de Sankara et de Lumumba, mais c'est surtout du président ivoirien Laurent Gbagbo dont il est question- pendant la phase d’affrontement avec l'Occident et de déstabilisation du pays, préalable à l'intronisation de la rébellion et de l'intervention militaire.
Pourtant le réalisateur brouille les traces. Ainsi de l'objet même du conflit, plus proche des révolutions anti-impérialistes latino-américaines : la nationalisation des moyens de production n'est pas, ou n'est plus, à l'ordre du jour des mouvements socio-politiques africains.
Et surtout de inattendue happy end, dune facture et d'une énergie toute hollywoodienne. Avec l'aide dune héroïne positive- la belle et courageuse Maya(Sandra Ahidjo)- journaliste qui révèle au président , preuves à l'appui, les tenants et aboutissants du complot .Avec des scènes finales dune violence subite et jubilatoire, où comme il se doit selon la loi du genre les comploteurs sont punis, les mercenaires liquidés et l'intervention militaire bloquée in extremis.
Pourtant en même temps le film semble souvent une narration à clef. Le 1er novembre-sortie du film à Paris-les oreilles de plus d'une « Madame Afrique » vont siffler, et quelques « grands reporters » français , au treillis de baroudeur et à l'écharpe flottante risquent de se sentir concernés...
Quel est donc ce premier ministre qui trahit son président et son peuple après une rencontre de corruption ? Et ce secrétaire général de l'ONU , relais des intérêts occidentaux, qui menace le dirigeant nationaliste dune intervention militaire?Heureusement que le récit, selon la formule aussi liminaire que rituelle, ne reflète pas la réalité...autrement au hasard un Ban ki Moon ou un Choi, un Affi Nguessan, ou une Delapalme risqueraient de se sentir concernés... Quant aux journalistes télévisés, battle dress ou pas, ils sont sans doute trop- même si la guerre des images les désigne comme forcement coupables !
Nietzsche affirmait autrefois qu'il « faut penser à coup de marteau ». Accusé bien à tort d être manichéen et simplificateur , Amoussou prouve qu'on peut faire de même à coup d'images- en retournant la caméra, dans contre offensive d'une guerre médiatique qui ne fait que commencer.