Sarah Suco a passé dix ans de sa vie dans une communauté du Renouveau Charismatique. Et ça se sent: d'abord parce que, qui connait actuellement ce mouvement à part ceux qui l'ont vécu? Qui s'y intéresse? Toutes les communautés n'atteignaient cependant pas le stade de celle que Sarah nous décrit, qui est carrément une secte.
Le renouveau charismatique s'est positionné comme une contagion aux milieux catholiques et (un peu) orthodoxes, du pentecôtisme protestant. Au début, la hiérarchie catholique a vu d'un très bon oeil ces fidèles qui pratiquaient la charité dans la joie mais, ces hiérarques qui, contrairement aux protestants, aiment bien ne voir qu'une seule tête se sont petit à petit méfiés et détournés des zozos illuminés qui sentaient le Saint Esprit descendre sur leurs têtes, et je pense qu'à l'heure actuelle il reste assez peu de communautés vraiment intégrées à l'église catholique.
La famille Lourmel est unie et aimante. Ils chérissent leurs quatre enfants et sont encore très amoureux l'un de l'autre. Il est prof, elle cherche à reprendre une activité de comptable; on voit bien qu'ils sont isolés dans leur petite ville de province, ont peu d'amis et voient surtout les grands parents maternels. Ils sont cathos par habitude, pas pratiquement fervents.
Au cours d'une messe, ils rencontrent un curé vraiment sympa, qui les invite dans la communauté qu'il dirige. Enfin des amis, des gens gais, joyeux, joueurs, qui s'épaulent, se soutiennent, et consacrent leurs loisirs à aider les pauvres. Rien de mal à ça, bien au contraire! Ils sont hameçonnés. Quels beaux débuts. On chante (beaucoup), on danse, on joue au ballon, on prend des repas en commun... on nourrit les pauvres..;
L'aînée, Camille, qui a seize ans (Céleste Brunnquell très convaincante) fréquente assidûment l'école du cirque. Elle adore son apprentissage de clown, même s'il ne fait pas forcément toujours rire.... Premier accroc: le prêtre, que tous appellent "le berger" est formel: il faut qu'elle cesse, c'est dégradant. Elle cesse, dans la douleur, et c'est dans la douleur qu'elle va être, des mois durant, tiraillée entre sa confiance aveugle dans ses parents, qui savent forcément ce qu'ils font, qui ont forcément raison, et l'incompréhension de ce qu'on lui demande. C'est que Christine (Camille Cottin, excellente dans un rôle a priori à contre emploi et Frédéric (Eric Caravaca) sont entrés à fond dans la machine. Pappy (Daniel Martin) est plutôt anticlérical; le repas de famille tourne au drame; malgré les efforts de Mammy (Laurence Roy) c'est la rupture. Le berger a très bien compris que pour tenir son troupeau, la rupture avec la famille s'impose. Au cours de séances de "thérapies" avec descente de l'Esprit Saint, il arrive à mettre les "malades" dans un état de transe qui leur "remémore" des souvenirs d'enfance oubliés: mais c'est bien sûr! elles ont été abusées par leur père.... On sait que des analyses orientées tendant à persuader la patiente qu'elle fût victime de viols dans son enfance ont été beaucoup pratiquées aux US.
La aussi, on pense de prime abord que Jean Pierre Darroussin, le gentil Darroussin des films de Guédiguian est à contre-emploi. Mais en fait, non! Si tous les gourous avaient un faciès illuminé à la Sacha Pitoeff, leur petite affaire marcherait moins bien.... c'est parce qu'ils inspirent confiance qu'ils sont dangereux.
Les parents partent en retraite avant de prononcer leurs voeux définitifs. Le grand frère (13 ans peut être) est en révolte ouverte; le plus petit (8 ans?) est complètement délabré. Il n'ose plus manger une bouchée avant d'avoir dit les prières, car le diable viendrait le chercher. Il finit par ne plus parler.
Camille soutient toujours ses parents, soutient la communauté, avec un comportement de plus en plus erratique. Elle change, dans la rue, sa jupe aux genoux pour un jean serré pour qu'au lycée, personne ne parle d'elle mais c'est inutile, tout le monde le sait: Camille vit dans une secte.... Elle cherche du réconfort auprès d'un petit amoureux, Boris (Spencer Bogaert), du temps de l'école du cirque. Et puis, elle vole la communauté, s'oppose, rejetée par ses propres parents, la voilà au cachot jusqu'à ce qu'elle demande pardon. Il faut qu'elle voit son petit frère se faire abuser par un des membres de la communauté et que, demandant du secours à sa mère, elle s'entende répondre que le diable l'a reprise pour qu'elle se décide à aller à la police, tout raconter, trahir donc, dans le désespoir....
Impressionnant. Sarah a t-elle vécu des situations aussi extrêmes? Sans doute pas, elle n'arriverait pas à en parler. Mais c'est le côté mesuré, factuel, presque raisonnable du récit de cette descente dans l'enfer des sectes qui en fait tout le prix. Trop peu? Bof. Trop? le risque de tomber dans l'anti-catholicisme facile, le grand guignol, l'Exorciste.... Sarah Suco a su éviter tous les pièges pour donner un récit fort et utile, qui doit beaucoup donner à réfléchir..... Bravo!