Voilà un film dont on ne cesse de dire le plus grand bien, qu’il faudrait apprécier avant même de l’avoir vu. Certes les acteurs-trices sont excellents-tes et quelques scènes fortes enthousiasment, comme celle de la rencontre dans le train entre l’héroïne et un bonimenteur, un petit commerçant, qui lui offre la possibilité d’une autre vie. Or, une succession de scènes ne fait pas un film. Celui-ci laisse l’impression qu’on a oublié d’en réaliser le montage, qu’on se contente de passages brusques d’une époque à l’autre, que le spectateur s’en satisfera. En fait le contenu peut suffire à expliquer ce manque. L’héroïne est la compagne d’un petit trafiquant, d’un profiteur, chef local d’une petite bande; elle l’aime, jusqu’au sacrifice (prison). Il la trahit en la remplaçant par une compagne plus jeune et d’un plus grand intérêt social. Quand il se retrouve dans le besoin, elle l’aide une nouvelle fois et continue à l’aimer. Elle devient même à son tour, comme par fidélité à son modèle et aussi pour survivre, chef de tripot. Toute sa vie, tout au long du film, jusqu’à ce qu’il la quitte à la fin sans qu’on soit bien certain qu’elle ne continuera pas à aider cet homme lâche, opportuniste, qui jamais ne se livre. Le contenu explicite du film est assez pauvre, banal, déjà vu ici-ailleurs, et répétitif. On attend, on espère, on veut croire qu’il se passera quelque chose, que notre curiosité sera nourrie. On quitte la salle définitivement dépité. Un si grand film. Si long. Ce qu’on aurait pu y trouver, ce qu’on aurait pu y développer:
- l’étude, ou quelques éléments, de l’organisation des trafics illégaux, de leurs techniques,
- l’étude, ou quelques éléments, des liens entre les organisations délictueuses et le pouvoir politique, celui du PCC et donc de l’Etat, ou des pouvoirs locaux, réduite dans le film à l’interdiction de la possession d’armes à feu, le reste des pratiques étant toléré,
- l’étude des liens entre ces organisations, la corruption, et les entreprises, l’économie, ce qui rejoint le point précédent,
- l’étude des méfaits environnementaux de l’économie industrielle, plus ou moins suggérés au cours du film qui laisse entendre qu’ils seraient la conséquence acceptable du développement pour le plus grand nombre qui n’en décide pas,
- l’étude des modifications de la structure sociale dues à ce développement et la hausse des inégalités socio-économiques, de l’écart grandissant entre les situations, des possibilités accrues de trafic que génère l’enrichissement relatif qui modifie les façons de vivre,
- l’étude du maintien ou non des valeurs traditionnelles comme la solidarité dans le cadre familial, sujet évoqué au début du film entre l’héroïne et son père, l’étude des rapports entre les sexes, la relation entre le trafiquant et l’héroïne étant le seul exemple proposé, exemple caricatural ou pas,
- l’étude des éventuels effets de démocratie ou de leur absence liés aux changements socio-économiques,
- l’étude de la situation des minorités abordée ici par l’exemple des chrétiens dont le film propose une image désastreuse à l’aide du personnage d’une chrétienne affirmée et voleuse, par nature ou par nécessité sociale,
- l’étude du maintien ou non d’une culture populaire dont le film utilise un exemple: les chansons d’amour sucré et tragique comme résumé parodique de l’argument visible principal du film, moyen idéologique d’action sur les consciences dont le réalisateur semble se moquer en l’édulcorant,
Des potentialités dont la mobilisation et la présentation explicite, au moins de certaines, auraient enrichi le fil conducteur, l’histoire individuelle devenant ainsi pleinement le vecteur de l’universel, évitant au film de se contenter d’un jeu d’ombres, d’accumuler les non-dits sous-jacents et de laisser penser à une analyse critique implicite non aboutie d’une société.