Avec ‘Les Éternels’ ( titre prémonitoire ?), Jia Zhang-ke, grand témoin lucide et souvent amer de l’évolution de la Chine, nous immerge dans l’empire du Milieu, dans un monde et une culture que nous ignorons, pour le grand nombre d'entre nous, au coeur des provinces chinoises reculées et délaissées, loin des grandes mégalopoles.
La bande annonce est trompeuse ; il ne s’agit pas, comme on pourrait le croire, d’un film brutal et de scènes violentes qui raconteraient l’histoire de luttes de gangs au sein de la pègre chinoise (bien qu'il y en ait quelques unes), mais bien plus d’une histoire passionnelle entre la jeune Qiao, interprétée par la très talentueuse Zhao Tao, ’la fleur qui s’épanouit’, selon Jia Zhang-Ke, dont elle est l’épouse et la muse ; elle tombe amoureuse d’un chef de la pègre de Datong, Bin, interprété par Liao Fan.
C’est un amour ardent, du style ‘je t’aime moi non plus’ : Ils s’aiment, la prison les sépare, ils se retrouvent et lui repart.
Qiao a adopté l’idéal de ‘Loyauté et droiture’ cher à la pègre et que lui a enseigné Bin ; ce sera son fil conducteur, mais plutôt à ses dépends.
Par sa forte personnalité et ses comportements imprévisibles, aimante, dominante, téméraire, elle nous attache à sa personne tout au long du film ; c’est elle qui mène la danse.
Il ne faut surtout pas s’étonner de la lenteur du rythme des échanges au cours des longs dialogues entre Qiao et Bin. Les chinois prennent leur temps, dans les relations amoureuses comme dans les affaires, ce qui peut que nous déconcerter, nous les occidentaux hyper-pressés, hyper-stressés.
Mais c'est aussi l'occasion, et peut-être le vrai but de Jia Zhang-ke, de nous faire découvrir les transformations de la chine profonde, qui regarde passer les trains, loin des clichés sur le modernisme et le développement fabuleux des mégalopoles de ce pays.
Dans ces provinces reculées et abandonnées par le régime, les habitants assistent impuissants et fatalistes aux grands travaux, comme le projet de barrage des Trois Gorges sur le fleuve Yangtsé (le plus grand barrage du monde), qui va détruire de nombreuses villes et villages qui bordent les Gorges, entrainant le déplacement massif des populations ; le 'politique' est omniprésent tout au long du film, laissant entrevoir peu de libertés ; c’est ainsi que Qiao va se retrouver en prison pour avoir tiré en l’air afin de défendre Bin, attaqué par des petits voyous ; le port d’arme est farouchement interdit dans tout le pays ! Nous sommes loin de notre libéralisme occidental.
Ce film peut déconcerter par certains aspects, mais il nous apprend beaucoup sur la culture chinoise, ses coutumes, ses croyances, son fétichisme, son évolution désastreuse pour ces provinces, et peut se voir aussi comme un documentaire ; cela étant dit, les relations homme-femme là-bas comme ailleurs, sont bien partout les mêmes, et les femmes ne semblent pas avoir le meilleur rôle .. en cela, nous ne sommes pas dépaysés !
Je continue à réfléchir, après avoir quitté la salle obscure sur le vrai sens de la citation associée au titre du film : ‘Ash is the purest white’, (la cendre est le blanc le plus pure), à mettre en corrélation avec la pensée de Qiao de la même essence, se trouvant face à un volcan aux côtés de Bin, et louant la cendre du volcan purifiée par le feu.. tout un programme.
Jia Zhang-ke ne se contente pas de nous distraire : il nous adresse des messages forts : comment être et devenir ?
C’est tout le destin de la Chine qui se trouve ici mis en équation, le destin de cette civilisation tant de fois millénaire.